Chaque matin, Nicolas Beytout analyse l'actualité politique et nous livre son opinion. Ce jeudi, il revient sur les stratégies complètement opposées des deux candidats d'extrême droite à l'élection présidentielle.
Plus on s’approche du premier tour de la présidentielle, plus les stratégies de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour divergent…
Oui, et la chronique politique de la semaine nous offre plusieurs exemples assez flagrants de cette opposition entre les deux candidats de la droite nationale. Prenons le cas du ministère de la Remigration, remis en avant il y a quelques jours par Éric Zemmour. Son projet, avec ce ministère qu’il propose de créer s’il arrive au pouvoir, c’est de faire repartir chez eux 1 million d’étrangers en 5 ans. Pour l’instant, les critères de sélection pour la "remigration" ne sont pas très précis, mais le candidat de Reconquête ! compte par exemple, chaque année, renvoyer chez eux 100.000 personnes "dont on ne veut plus", auxquelles il ajoute 100.000 personnes dont les visas ne seraient pas prolongés. Je passe sur le fait que ça signifie en moyenne plus de 500 expulsions par jour, de gré ou de force, dimanches et jours fériés compris, ce qui est évidemment inimaginable. Ce qui est intéressant, c’est pourquoi Éric Zemmour a ressorti (et brandi bien haut) cette proposition : il a essayé de refaire le coup du ministère de l’Identité nationale, proposition lâchée par Nicolas Sarkozy à la fin de sa campagne victorieuse de 2007, et reprise en 2012 (mais sans succès cette fois). L’objectif était de cliver, de frapper avec une mesure forte qui lui assurerait le soutien du vote le plus à droite. La différence, c’est que pour Nicolas Sarkozy, il ne s’agissait là que d’un élément d’un programme beaucoup plus complet, alors que pour Éric Zemmour, qui vient pourtant de présenter un programme et un chiffrage complets, c’est une manière de se recroqueviller sur la partie la plus visible de ses propositions : la lutte contre l’immigration.
Et c’est ça qui le différencie de Marine Le Pen ?
Pas seulement. La candidate du Rassemblement national a en effet vivement critiqué le concept de "remigration", jugé injuste, anti-républicain, et peu respectueux de l’état de droit. Ça fait des mois que Marine Le Pen peaufine une candidature respectueuse de l’état de droit, qu’elle polit les aspérités de ses propositions, sur l’Euro, les retraites, ou encore les Gilets jaunes, qu’elle ne veut pas amnistier par principe, parce que tout Gilets jaunes qu’ils soient, certains ont violé la loi. Ces propositions sont basées sur une tentative de présidentialiser son personnage et sur une stratégie dite de second tour. L’ex-patronne du Front national a compris, avec son échec en 2017, qu’elle n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir sans, au second tour, un programme d’ouverture et de rassemblement. L’inverse de la stratégie adoptée par Éric Zemmour qui se reconcentre sur son électorat de cœur, une stratégie de premier tour qui a l’inconvénient de nourrir le rejet dont il est l’objet de la part des autres électeurs.
Et il y a d’autres exemples de cette opposition entre deux stratégies ?
Oui, et toujours avec cette question du second tour en toile de fond. Éric Zemmour ne rate jamais une occasion de dire que Marine Le Pen est la candidate de la lose face à Macron, qu’elle n’a aucune chance d’être élue, qu’elle est abonnée à la défaite, et que "tout le monde le sait dans son parti". Au Rassemblement national, on a semble-t-il décidé de faire l’inverse. Le patron par interim du parti, Jordan Bardella, a récemment rendu hommage au parcours accompli par l’ex-journaliste, a loué son talent de polémiste, et ouvertement tendu la main à ses électeurs pour un rassemblement au second tour. Tout est fait pour atténuer les différences, apaiser les hostilités. Tout est fait pour préparer le combat face à Emmanuel Macron. Les sondages continuent d’ailleurs à bouger, en particulier pour le second tour où l’on voit désormais Marine Le Pen se rapprocher chaque jour un peu plus d’Emmanuel Macron. Pour l’Ifop, elle pointe à 45,5% (là où elle n’avait réalisé que 34% il y a 5 ans). À ce jour, sa stratégie de second tour semble pertinente.