Chaque samedi, François Clemenceau, rédacteur en chef au "Journal du dimanche", revient sur un événement international.
Ce matin, François Clemenceau, vous nous emmenez à Barcelone où va s’ouvrir lundi le Congrès mondial de la téléphonie mobile. C’est le rendez-vous annuel de toutes les entreprises du secteur mais cette année, ce sera aussi très politique, je dirais-même géopolitique !
Oui, parce qu’on va beaucoup y parler de cette nouvelle génération de télécommunication qui s’appelle la 5G. Tout le monde pense qu’après la 3G et la 4G, c’est juste un échelon de plus dans la rapidité des connections mais en fait c’est un bond technologique énorme qui va au moins décupler les usages et la vitesse des transmissions de données par smartphone mais aussi entre centraux, relais, objets ou engins connectés, bref c’est une révolution. Un expert du sujet n’hésite pas à dire, en exagérant un peu, que ce saut qualitatif est comparable à l’invention de l’électricité et de l’internet.
Mais c’est bien parce que les enjeux sont immenses que la 5G fait déjà l’objet d’un conflit, entre les Etats-Unis, qui maîtrisent partiellement cette technologie, et la Chine, dont le fleuron Huawei est devenu le leader mondial de la 5G. Et devinez qui aura, à Barcelone, les plus grosses délégations industrielles et diplomatiques, je ne parle pas des officines qui leur sont reliées ? Les Américains et les Chinois.
Car ce dossier, il n’est donc pas que judiciaire avec la détention au Canada de l’héritière de l’empire Huawei
En fait, personne n’a attendu la procédure d’extradition de cette Meng Wangzhou vers les Etats-Unis, pour y répondre de violation de la propriété intellectuelle et de contournement des sanctions, pour se méfier de la maîtrise de la 5G par Huawei sur toute la gamme du spectre. Aux yeux des Occidentaux, ce n’est pas uniquement une menace de suprématie industrielle et commerciale mais surtout, une menace stratégique. Car ils soupçonnent Huawei de pouvoir, grâce à la 5G, siphonner des milliards de données à volonté grâce à des logiciels espions implantés dans les systèmes, ou même saboter ou pirater des infrastructures dites vitales dans le domaine des transports publics, de l’énergie ou carrément dans l’industrie de défense.
Sauf qu’on n’imagine pas une seconde une entreprise de cette taille prendre de tels risques pour sa réputation….
C’est vrai que les soupçons frisent la paranoïa et le bon sens, surtout lorsqu’ils viennent des Etats-Unis dont l’un des émissaires vient de faire le tour du monde pour supplier les alliés, non pas d’interdire Huawei, mais de choisir d’autres fournisseurs pour la 5G. Ce diplomate a expliqué qu’il en allait de la sauvegarde des démocraties par rapport au danger orwellien de la dictature chinoise en évoquant ses techniques de l’intelligence artificielle au service de la répression politique. Il n’empêche que les services de renseignement américain et français ont des exemples de ce qu’a pu faire Huawei avec ses serveurs, notamment en Afrique ou en Australie ou au Royaume-Uni.
Et il semble bien qu’à Barcelone, la pression maximale sera mise cette fois sur les industriels tentés de collaborer avec Huawei, au risque d’en devenir complice.