Hillary Clinton était l'invitée exceptionnelle de Jean-Pierre Elkabbach mardi matin sur Europe 1.
Ce matin à 8h20, Europe 1 recevait Hillary Clinton, ancienne secrétaire d’Etat de l’administration Obama.
Voici ses déclarations :
Hillary Clinton, merci d'être avec nous et bienvenue. Dans votre livre passionnant, vous rendez souvent hommage à votre mère, une femme de caractère, indépendante et positive. Vous dites: "Personne n'a eu plus d'importance sur ma vie et personne n'a façonné davantage celle que je suis devenue." Est-ce qu'elle reste pour l'avenir un exemple et une inspiratrice ?
"Oui, tout à fait. J'espère être aussi indépendante et positive pour la fin de ma vie qu'elle l'a été jusqu'à la fin de la sienne. Et j'espère aussi une aussi bonne grand-mère pour mon petit-fils ou ma petite-fille."
Bientôt ! Vous confiez, pour tout ce qui est politique, vous avez d'abord combattu puis soutenu Barack Obama. Après son élection, il vous propose le poste de secrétaire d'Etat, un poste des plus prestigieux, à Washington. Dans un premier temps, vous dites non, mais vous expliquez que pour Barack Obama, un non n'est jamais une réponse.
"C'est tout à fait vrai. Je lui ai dit non à deux reprises. Puis j'ai réfléchi toute une nuit et je me suis demandé : 'Et si la situation était inversée ? Si c'était moi qui lui faisait cette proposition ? Je voudrais qu'il dise oui pour le bien du pays." Je lui ai donc donné ma réponse, et à la fin de notre conversation, il m'a dit que, contrairement à ce qu'on disait, nous pouvions devenir de bons amis."
En 4 ans, vous vous êtes rendue 700 fois à la Maison Blanche. Et, assez vite, c'est Barack Obama qui le dit - c'est une très belle formule - une équipe de rivaux est devenue une équipe sans rivale. Même s'il y a eu des divergences entre vous.
"Oui, des divergences il y en avait, mais je crois que nous avons eu un partenariat très constructif. C'est-à-dire que j'exprimais mes sentiments, je disais ce que je pensais et lui m'écoutait. Sans forcément être d'accord avec moi. Moi non plus, je n'étais pas toujours d'accord avec lui, mais j'avais le plus grand respect dans la façon dont il prenait ses décisions."
Vous avez montré une maîtrise brillante de la diplomatie, et je le dis sans flagornerie. Vous avez visité 112 pays, parcouru 1,6 million de kilomètres, passé des nuits dans votre avion, rencontré tous les dirigeants de la planète : des démocrates et dse dictateurs. Et pourtant, malgré cela, malgré ces efforts, les crises se sont aggravées et le monde n'est pas meilleur.
"Je dirais que c'est un défi constant, lorsqu'on occupe un poste comme celui-là, il faut gérer les crises qui se présentent à vous. Personne n'avait prévu le printemps arabe. Nous avons bien dû travailler avec ce qui se passait dans ces pays. Nous avons cherché à travailler avec la Russie lorsque nous n'étions pas d'accord."
Dans vos responsabilités, on ne réussit pas à un moment donné. Il n'y a pas quelque chose qui s'achève. Chacun apporte sa contribution.
"Exactement. Et ce que j'ai essayé de faire, c'est d'aider le gouvernement américain à faire face aux défis à long terme : climat, droits des femmes et des filles, la technologie avec ses aspects positifs et négatifs. Et j'ai aussi essayé de gérer des crises : en Israël pour négocier la fin d'un conflit à Gaza, par exemple."
Qu'est-ce que les Etats-Unis ne doivent plus faire ?
"Je crois que nous ne devrions plus nous engager dans un conflit armé de façon unilatérale, à moins que notre sécurité ne soit directement menacée. Nous devons continuer à soutenir nos alliés, nos amis, la France étant notre plus vieil ami. Nous avons une obligation que nous avons acceptée, de défendre la France, comme d'autres alliés de l'OTAN. Nous ne devons pas chercher les problèmes, et imposer les solutions militaires."
Comme avant ?
"Oui, je le dis dans le livre purement et simplement : j'ai fait une erreur en soutenant le président Bush en lui donnant la permission d'intervenir en Irak."
C'était une faute grave des Bush. L'équipe Obama et Clinton a vu naître de nouveaux foyers de guerre et vous avez mis fin à des guerres. On prend l'Afghanistan. Quand les services secrets ont repéré Ben Laden, on vous a réclamé, à tous, le secret absolu. Vous n'avez rien révélé à votre mari ?
"Je n'ai rien dit ! Le président Obama en était extrêmement surpris à la fin de l'opération. Il lui a dit : "J'imagine qu'Hillary te l'a dit." Et Bill de répondre : "Non, je n'en ai pas la moindre idée." "
Vous regardez ces moments pathétiques de la chasse à Ben Laden. Jusqu'à ce qu'on vous dise : "Ben Laden is ennemy killed in action". Est-ce qu'il était prévu de l'abattre et de le jeter à la mer ?
"Les instructions qui étaient données étaient de tuer ou de capturer, de préférence le capturer. Mais ça n'a pas été possible. Alors il a été tué, puis identifié visuellement, son corps a été ramené de l'autre côté de la frontière où des tests ADN ont été effectués. On a voulu l'enterrer quelque part, mais personne n'a voulu de son corps. J'étais d'accord avec cette décision de faire un enterrement approprié et respectueux en mer."
Depuis quelques jours, on apprend à connaître ce nouveau visage, celui d'Al-Baghdadi, qui se prétend le calife de tous les musulmans, à qui tous doivent obéir. Les Etats-Unis ont mis sa tête à prix. Doit-il connaître le même sort que Ben Laden ?
"Non. Les Irakiens eux-mêmes n'ont pas encore assez analysé la menace qu'il représente, lui et son groupe. Je ne pense pas qu'il y ait à l'heure actuelle une stratégie bien définie. Notre objectif primordial, c'est de faire en sorte que le gouvernement irakien, en intégrant des sunnites. Après tout, cet homme n'occuperait pas le poste qu'il occupe si la population ne le supportait pas de façon tacite. Ils sont tellement dégoûtés de l'attitude du gouvernement Al-Malaki."
Vous avez noté qu'Al-Baghdadi essaie de faire de la Syrie, l'Irak, un Etat islamique par-delà les frontières. Un Etat qui attire les jeunes pour en faire des terroristes. Comment on le combat ?
"Je serais extrêmement ferme en demandant à l'Irak de s'unir contre cette menace. Mais le gouvernement actuel n'est pas prêt à le faire et ne va pas le faire. Je ne pense pas qu'une force extérieure comme les Etats-Unis puissent le faire si les Irakiens ne veulent pas le faire."
Pas d'engagement militaire de la part des Etats-Unis ?
"Pas pour l'instant. Nous essayons, cela dit, d'aider l'Irak, en envoyant des conseillers militaires pour mieux lutter contre la menace de l'EIIL."
Les premiers chapitres de votre livre portent sur l'Asie, qui est le pivot de votre politique. L'Europe reste l'amie, l'alliée. Vous connaissiez Angela Merkel. Elle vous a impressionné car pour vous, elle porte ses motivations et l'Europe sur ses épaules.
"Oui, du fait de la crise économique persistante dans le sud de l'Europe, il faut que des mesures décisives soient prises pour que l'Europe du Sud remonte la pente économiquement. Une Europe unie sur le plan économique et politique, c'est très important pour tous les pays."
Toute la presse française vous interroge souvent sur Nicolas Sarkozy. Alors je vais le faire rapidement : vous plaisantiez avec lui, vous vous disputiez souvent. Et vous dites : "Quand il prenait la parole, il faisait de grands gestes théâtraux. Il ne mâchait pas ses mots, disait d'un tel chef d'Etat qu'il était fou, de l'autre qui avait une armée qui ne savait pas se battre et il demandait souvent pourquoi les diplomates qu'il rencontrait étaient tous vieux, grisonnants et de sexe masculin." Vous l'avez supporté ? C'était difficile ?
"Non, c'était quelqu'un de très agréable avec qui travailler. J'aimais beaucoup l'énergie qu'il amenait à nos débats. Nous avons travaillé ensemble. J'attendais toujours nos réunions de travail avec impatience."
Et le président Hollande, vous le connaissez ?
"Je n'ai pas eu la chance de le rencontrer. Je connais Laurent Fabius parce que nous avons participé à plusieurs réunions ensemble."
Il ne va pas tarder à vous recevoir, on va prendre ce pari. Vous savez que l'arrivée de Barack Obama avait enthousiasmé les Français. Aujourd'hui, ils sont plutôt déçus et désenchantés parce qu'on a l'impression qu'il hésite sur tout, qu'il est velléitaire. On a tort ?
"Je crois que le président a fait face avec succès à un grand nombre de défis dont il a hérité : une crise économique épouvantable. Chez nous, on a l'impression que c'est quelqu'un qui réfléchit beaucoup, qui prend des décisions difficiles en permanence, sans jamais oublier ses responsabilités de président de la seule superpuissance."
Les Français ne veulent plus une Amérique dominatrice mais ne veulent pas non plus d'une Amérique isolationniste.
"Ce que je dis, c'est que l'Amérique compte pour le monde et que le monde compte pour l'Amérique. Cet engagement implique que l'Amérique implique qu'elle continue à jouer un rôle important pour un grand nombre de questions, dans un grand nombre de domaines. Et c'est ce que j'espère faire comprendre à travers dans mon livre, aux Etats-Unis comme ici."
Est-ce qu'on peut s'engager à ne plus écouter et contrôler la vie des Européens, quand on est un Américain ?
"Oui, et quand le président a eu vent de tout cela, il s'en est excusé et a mis un terme à tout ça. Ça ne devrait plus se reproduire !"
Hillary Clinton, je ne vous demande pas si vous avez envie de devenir présidente. Vous écrivez vous-même que la meilleure question, c'est : 'Quel futur envisagez-vous pour l'Amérique'. Et vous y répondez dans le livre.
"Right".
Au 21e siècle, d'abord, le changement climatique. Est-ce que ça veut dire que l'Amérique sera plus impliquée à la conférence de Paris en décembre 2015, et que vous viendrez, et que vous entraînerez la Chine qui vit dans le brouillard de la pollution ?
"Tout à fait. Cette conférence est essentielle pour le monde. Et c'est pour ça que nous voulons être un des leaders dans cette conférence."
Il y a des chapitres très intéressants sur l'énergie, sur le numérique dans un monde qui commence à vivre en réseau. Vous citez quelqu'un qui dit : "Le nouveau monde, ce sont des tweets à la place des bombes." Hélas, il peut y avoir des tweets et des bombes ensemble. Il faut l'éviter.
"Tout à fait. Pour des pays comme la France et les USA, l'enjeu c'est de faire avancer nos valeurs pour écarter les bombes au profit des tweets."
Vous dites toujours ce que vous pensez ?
"J'essaie."
Alors on va voir, on va prolonger. Je reviens à votre mère, qui vous a dit, avec les méthodistes : "Fais tout le bien que tu peux, à chaque moment que tu peux, à tous les gens que tu peux, aussi longtemps que tu peux." Est-ce que vous avez un autre choix que d'aller vers la Maison Blanche ?
"Bonne question, parce que je prends mes responsabilités très au sérieux. Il faut que je prenne la décision sur la base de ce que je crois pouvoir faire, à la fin de l'année. Mais il y a déjà des élections, en novembre."
Là, vous allez vous battre pour aider Obama à gagner sa majorité au Congrès.
"Oui."
Avez-vous la force, la capacité, après tout ce que vous avez vécu, l'envie de mener l'Amérique vers le futur que vous avez décrit dans votre livre ?
"Je veux pour l'Amérique ce futur qui restituera le rêve américain aux jeunes Américains. Je crois savoir ce qu'il nous faut faire, en termes d'économie et de démocratie. A moi de décider si je le ferai ou pas."
Do it yourself ! Et moi je vous regarde et je pense que vous avez toujours répondu à tous les défis. Je suis prêt à prendre le pari que vous êtes prêtes pour le prochain aussi.
"Je vous remercie pour ça, car vous avez vu beaucoup de personnes passer de l'autre côté de la table."
Barack Obama a dit qu'il vous soutiendrait si vous vous présentez. Et Bill Clinton ? Il connait votre réponse.
"Il m'a dit qu'il me soutiendrait quelle que soit ma décision. Evidemment, ce serait une grande aide pour le pays, quel que soit le candidat. Mais c'est encourageant pour mon objectif qu'une femme perce le plafond de verre."
Je me souviens d'une phrase qui vous a été dite : 'Hillary : ne jamais cesser de rendre le monde meilleur, ne jamais renoncer." Votre mère vous a donc tracé la voie.
"Elle m'a donné beaucoup de confiance et de soutien. Elle n'est plus là mais je pense souvent à ces mots. Comment les suivre par contre, je n'en sais rien."