Tout le secret professionnel du cabinet d'avocat est violé lorsque l'on confisque le téléphone portable d'un avocat.
Pierre-Olivier Sur, bâtonnier du barreau de Paris
Ses principales déclarations :
Le sort des deux portables de Me Herzog... On dit que la décision est déjà prise : ces portables lui seront-ils rendus ?
"J'ai appris que - mais je n'ai que appris que - ils ne lui seraient pas restitués. Mais pour autant, ils ne sont pas non plus récupérés par les juges d'instruction et le Parquet : ils sont pour l'instant toujours placés sous scellés fermés. J'aurais préféré qu'on lui rende, c'est la raison pour laquelle je suis allé plaider moi-même devant le juge de la liberté cette affaire jeudi. C'est effectivement la première fois je crois qu'un bâtonnier va plaider devant le juge de la liberté pour un confrère et une histoire de perquisition : c'est la première fois qu'on saisit un téléphone portable professionnel d'avocat, en un instant on a saisi l'intégralité du cabinet de l'avocat !"
Les deux portables seront remis au juge d'instruction ?
"Pour l'instant, ils sont sous scellés fermés entre les mains d'un autre juge, qui est le juge de la liberté. Mais j'insiste sur le fait que c'est gravissime de saisir un téléphone portable, qui est l'ordinateur, la dématérialisation de tout le secret professionnel de l'avocat, c'est à dire que tous ses clients. Pour l'instant, ils ne sont pas remis : ils demeurent sous scellés fermés en attente d'expertise."
Dans un tweet, vous dites que si Poutine avait mis sur écoute un avocat, le monde entier soutiendrait cet avocat...
"Je veux dire que si des anglais, des américains, apprennent que chez nous, ou que chez eux, on peut entendre, écouter, saisir le téléphone, l'ordinateur d'un avocat, concernant l'intégralité de toutes ses affaires, chacun serait scandalisé. Et que tous les avocats du monde entier n'accepteraient pas cela."
Ici, qui est Poutine ? Même s'il a un masque ?
"Ici il y a une dérive procédurale aujourd'hui qui est extrêmement préoccupante : le secret professionnel, le secret des correspondances, l'ordinateur, le téléphone, cela relève du secret absolu ; des conversations qui sont emmenées par les clients vers un avocat. C'est sacré."
Me Herzog et l'ancien Président sont sur écoute depuis un an. Quand l'avez-vous appris ?
"J'ai appris tout cela la semaine dernière... Mon prédécesseur sans doute savait mais je lui laisse la responsabilité de ce secret et c'est bien qu'elle ait gardé le secret. J'ai pris mes fonctions le 1er janvier, je n'ai pas à vous dire ce que je savais ou non du passé mais ce que je veux dire, c'est que j'ai décidé d'aller plaider moi-même car je pense que l'atteinte au secret est absolument inadmissible."
Mais vous n'étiez pas informé vous-même...
"Je n'étais pas informé moi-même."
Les écoutes portaient sur la Libye et le financement de la campagne 2007 ; n'ayant rien trouvé, les juges ont cherché sur d'autres sujets. Est-ce légal ?
"C'est ça qui est extrêmement choquant : vous avez des juges qui placent sur écoute téléphonique l'ancien Président de la République pendant presque un an, et à partir de cette écoute bien sûr il téléphone à son avocat et c'est là que, à filet dérivant, on va rechercher des choses qui seront dites sur d'autres dossiers."
Peut-être les juges avaient-ils du flair et ont-ils eu l'impression qu'ils trouveraient des preuves...
"Les juges sont tenus à une légalité, à une saisine. Et la saisine des juges, c'est l'écoute sur l'affaire de la Libye, et pas sur d'autres dossiers ! C'est à partir de ce dossier qu'ils sont allés sentir comme des chiens de chasse, à droite, à gauche, jusqu'à tomber des mois plus tard sur autre chose."
Ils sont sortis de leur périmètre ?
"Ils sont sortis de leur saisine. C'est cela qui nous révolte."
Pour la perquisition chez Me Herzog, les juges vont-ils prévenu ?
"Les juges nous préviennent la veille, sans nous dire chez qui nous allons. Nous déléguons un membre du Conseil de l'ordre, qui a assisté à toute la perquisition à Paris, et un autre à Nice. Mes délégués m'ont indiqué que Me Herzog avait été traité comme un bandit de grand chemin : cela vous montre à quel point les procédés utilisés sont violents et disproportionnés."
Vous défendez Nicolas Sarkozy et son avocat ?
"Non ! Je ne défends que les principes ! Je souhaite qu'on puisse respecter les avocats, y compris lorsqu'il y a des mesures de perquisition !"
Vous semblez stigmatiser une enquête faite à charge...
"C'est une enquête qui évidemment est faite à charge : mais ce n'est pas mon problème. Mon problème, c'est de savoir si c'est légal ; si dans ce pays, dans notre pays, notre démocratie, une des plus grandes du monde, on peut écouter un avocat ! De même qu'on pourrait écouter des conversations chez un médecin ou un curé, c'est absolument impossible. C'est révoltant ! Aucune démocratie du monde ne l'accepterait."
N'est-ce pas une défense corporatiste ?
"Non, c'est une défense pour les gens, pour les citoyens qui n'acceptent pas d'imaginer qu'on puisse les entendre, les écouter, les enregistrer, lorsqu'ils vont chez leur avocat."
La Justice est indépendante ou doit-elle l'être vraiment ?
"La Justice doit être indépendante ; elle l'est dans les textes. Je crains parfois qu'il y ait des dérives."
400 avocats, dont des grands noms, estiment que leur rôle est nié, qu'ils sont soupçonnés comme des complices de voyous. Ils publient une pétition : solidarité avec un confrère, émotion sincère ou geste pour la galerie et la forme ?
"Il y a ces noms que vous venez de noter, et puis il y a les dizaines et centaines de confrères qui m'ont appelé, qui m'ont saisi en tant que bâtonnier de Paris, et qui m'ont dit : on ne peut plus travailler dès lors que nos clients imaginent qu'ils pourraient être entendus lorsqu'ils viennent chez nous."
Cela veut-il dire que depuis un an, le Président Hollande, MM. Ayrault, Valls, Christiane Taubira pourraient savoir, connaitre le feuilleton Sarkozy-Herzog s'ils le voulaient ?
"D'un point de vue technique, si le Parquet est informé - et il doit être informé - le Parquet est hiérarchisé, ça veut remonter jusqu'au ministre. Et si ça remonte jusqu'au ministre, l'exécutif évidemment peut être informé..."
Que demandez-vous concrètement ce matin à ce micro ?
"A ce micro, je viens dire que je vais saisir le Président de la République. Vous vous souvenez de l'affaire Schuller-Maréchal en pleine campagne présidentielle 1995, avec des écoutes absolument illégales, d'ailleurs annulées un jour par la chambre de l'instruction, François Mitterrand s'est saisi du problème. Je vais saisir le Président de la République qui est le garant et le gardien des libertés publiques afin qu'il puisse arbitrer dans cette affaire et prendre les mesures qui conviennent, qui sont à son niveau. Cela relève maintenant de son niveau : on est au-dessus des juges d'instruction, du Parquet, il s'agit de la défense de nos libertés publiques. Les libertés publiques, c'est le secret professionnel chez l'avocat, le secret professionnel chez le médecin, le secret professionnel chez les curés !"
Vous nous faites trembler comme si la démocratie était menacée...
"Mais la démocratie est menacée ! Lorsque les libertés publiques sont atteinte, la démocratie s'écroule."