Dans un livre intitulé Nulle part où se cacher, le journaliste Glenn Greenwald revient sur sa rencontre avec Edward Snowden, l'ancien agent de la CIA et de la NSA connu pour être à l'origine des fuites sur le programme de surveillance des États-Unis.
Bonjour Glenn Greenwald !
"Hi, how are you ?"
Fine, and you ?
Pour commencer, comment êtes-vous rentré en contact avec Edward Snowden ?
"Il m'a envoyé un email de façon anonyme en décembre 2012. Il ne voulait absolument rien dire sur lui-même. Il voulait que j'établisse un système très compliqué de chiffrage et je l'ai fait. Et donc finalement, il a écrit un message à quelqu'un que je connaissais, qui m'impliquait, il m'a demandé de venir à Hong-Kong, là où il se trouvait... Je suis allé à Hong-Kong et c'est là que je l'ai rencontré !"
Il se passe quasiment 6 mois entre le 1er mai et le 20 décembre 2012, et ce rendez-vous à Hong-Kong le 2 juin 2013. Racontez-nous cette rencontre : c'est quasiment James Bond, quand on lit ça dans le bouquin.
"Il nous a demandé de nous retrouver dans une partie de l'hôtel où il habitait, dans une pièce quasiment à l'écart de tout, et d'attendre sur un canapé devant cet énorme alligator vert qui était par terre. Un faux, bien sûr. La question, c'était : comment on allait le reconnaître ? Parce qu'on savait pas à quoi il ressemblait. Il nous a dit : « Vous me reconnaîtrez parce que je tiendrai un rubik's cube dans les mains. » Et il est rentré, il tenait un Rubik's cube, et c'est comme ça qu'on l'a reconnu."
Mais vous aviez encore des doutes, à ce moment ? Vous n'étiez pas persuadé que ce jeune homme, ce geek comme on dit, allait vous donner des éléments sur l'un des plus grands scandales mondiaux de ces dernières années.
"A ce moment-là, j'avais déjà reçu des douzaines de documents qu'il m'avait envoyés. Et dans le vol de New York jusqu'à Hong Kong, j'ai vu toutes les archives. Une fois arrivé à Hong Kong, je savais qu'il était en possession de documents ultra sensibles. Plusieurs milliers. Mais je ne savais pas qui il était et pourquoi il l'avait fait, quels étaient ses motifs. Et c'est ça que je devais découvrir."
Le garçon qui était en face de vous, il était comment ? Il était serein, inquiet ? Et vous, vous étiez comment, d'ailleurs ? Vous aviez peur ?
"Il y avait évidemment beaucoup de tension et de stress dans l'air dès la première seconde, parce qu'on savait tous qu'on faisait quelque chose qui était risqué et dangereux. Mais en même temps, depuis le début, il avait cette tranquillité étonnante, choquante même. Il était parfaitement conscient des conséquences pour lui."
Mais vous saviez pourquoi il vous avait choisi, vous ? Vous ne le connaissiez pas du tout avant ce mail.
"C'était un de mes lecteurs depuis des années. J'ai beaucoup écrit sur l'espionnage, la surveillance. Il voulait quelqu'un qui comprendrait les problèmes. Mais le plus important pour lui, c'était ma vision du journalisme. Il voulait être certain que la personne qu'il allait rencontrer allait être très agressive, qu'elle sortirait ce rapport et qu'elle n'aurait pas peur des menaces du gouvernement."
Quand vous êtes arrivés dans les journaux - The Guardian, The Los Angeles Times - avec vos articles à la dynamite sous le bras, ça a été simple de les convaincre de les publier ?
"Ça a été extrêmement compliqué. C'est facile maintenant de regarder en arrière et de dire que c'est une histoire extraordinaire et que bien sûr, les journaux l'ont publiée, mais à l'époque, c'étaient des questions extrêmement compliquées. Il fallait comprendre quelles seraient les conséquences juridiques, quelles seraient les réactions politiques et aussi les questions sur nos sources. Et c'était très risqué, très difficile de faire ce genre de journalisme."
Snowden est aujourd'hui en Russie. Est-ce que vous avez des nouvelles de lui, aujourd'hui ?
"J'ai été à Moscou il y a 4 jours, et je l'ai vu pour la première fois depuis notre rencontre à Hong-Kong. Je lui ai parlé de façon très régulière ces dernières années, mais le voir en personne... Ça m'a donné vraiment un plus. Il n'a quasiment pas changé, en fait."
On a dit qu'il a été récupéré par Vladimir Poutine, qu'il est devenu un instrument, quasiment, de la nouvelle guerre d'influence entre les Etats-Unis et la Russie. Vous en pensez quoi, vous ?
"Je crois que cette théorie est idiote. Je suis sûr qu'il n'y a aucune preuve pour la soutenir. C'est ce que le gouvernement dit de toute personne qui veut apporter de la transparence à ce que les Etats-Unis veulent garder secret. Et j'espère qu'aucune personne qui ait un peu de logique ne poursuivra cette théorie. Sauf s'il y a des preuves. Et il n'y en a pas."
Il vous a fait d'autres révélations que vous n'avez pas encore publiées et qui risquent de faire trembler les Etats-Unis et le monde ? Il vous en reste encore sous le coude, comme on dit ?
"Je dirais que depuis le début, l'histoire - je crois - la plus explosive et la plus importante, c'est celle qui n'a pas encore été publiée. On travaille là-dessus. On va la publier. A l'évidence, je ne peux pas la révéler ici à votre antenne. J'aimerais beaucoup d'ailleurs, mais ça répond à la question suivante : "Qui est ciblé dans le domaine de l'espionnage le plus invasif ?" Est-ce que ce sont vraiment des terroristes qui sont ciblés ou des gens qui critiquent le gouvernement américain, des enseignants, des gens qui s'engagent en faveur des droits de l'homme ?"
Il y aura des choses sur la France ?
"Oui, absolument. Je travaille avec le journal "Le Monde" sur ce qu'il se passe en France et c'est ce que je vais continuer de faire. Je pense qu'il y aura beaucoup plus d'histoires à raconter."
Est-ce que vous avez peur pour votre vie ?
"Le gouvernement américain a passé des mois à menacer le genre de journalisme que nous faisons. Disons que c'est une sorte de crime. Et à menacer de m'arrêter si je retournais aux Etats-Unis. Vous savez, je mène mes activités à partir du Brésil. A l'évidence, quand on est en possession de plusieurs milliers de documents que chaque gouvernement dans le monde voudrait avoir dans ses mains, il y a des risques certains. Mais nous avons décidé très tôt d'être conscient des risques, de nous sortir ça de la tête et de faire notre journalisme."
Merci Glen Greenwald d'être venu sur Europe 1. Dites à Edward Snowden que s'il veut venir témoigner, il est le bienvenu!
"Je ferai passer le message, merci beaucoup."
Je rappelle que vous venez de sortir un livre : "Nulle part où se cacher". L'affaire Snowden par celui qui l'a dévoilée au monde. Et c'est publié chez JC Lattès. Merci et bonne journée à vous.
"Merci beaucoup."