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Le père d'Agnès Marin juge le collège en partie responsable de la mort de sa fille.

Frédéric Marin, père d’Agnès Marin (assassinée au collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon en 2011)

Voici ses déclarations :

 

Merci d'être là, Frédéric Marin, je sais que c'est toujours un moment compliqué et difficile pour vous. On a appris hier que le collège Cévenol ne rouvrirait pas ses portes à la rentrée. Est-ce que vous considérez que ce collège et ses dirigeants ont une responsabilité dans la mort de votre fille ?

"Oui. Bien sûr. Dans la mesure où un responsable d'établissement scolaire doit assurer la sécurité de ses élèves, a minima. De toute évidence - je reprends les termes employés par la justice au cours du procès - ils ont introduit le loup dans la bergerie. Difficile, pour un homme aussi expérimenté que le principal du collège et pour un établissement qui prétend avoir des dizaines d'années d'expérience, d'introduire un garçon dont il avait été démontré qu'il avait fait de la préventive pour des faits de viol, en tout cas pour des faits d'agressions sexuelles."

On précise que le meurtrier de  votre fille avait été condamné pour agression sexuelle, il avait fait quelques mois de prison.

"Il n'a pas été condamné, pardonnez-moi. Il avait simplement été mis en examen et l'affaire traînait depuis quelques mois."

Il avait fait 4 mois de prison...

"Absolument. Préventive."

C'est ensuite qu'il était arrivé au collège Cévenol. Cette fermeture - qui se fait pour des raisons économiques, ça n'a rien à voir avec l'affaire qui vous amène ici ce matin - vous la souhaitiez ? Vous pensiez que ce collège ne pouvait plus fonctionner ?

"Je ne la souhaitais pas comme ça. Je regrette qu'il ferme pour des raisons économiques. C'est pas pour des raisons économiques qu'ils ferment mais pour les affaires, les casseroles qu'ils se traînent. Malheureusement, Agnès est une grosse casserole. C'est terrible à dire, de penser que sa fille est une casserole. C'est un fait divers... Et d'ailleurs, dans le communiqué que le collège a diffusé, ils disent bien qu'ils ne se sont pas remis de cette affaire : mais Agnès n'était pas une affaire. Et je regrette qu'ils n'aient pas dû fermer. Parce qu'on va les traîner de toute façon : la personne morale ne disparaît pas. Mais je regrette qu'ils ferment avant qu'on ait pu leur demander des comptes."

Il y aura des suites judiciaires. Autre suite judiciaire, vous avez décidé de porter plainte contre l'Etat. Pourquoi ?

"Pourquoi... Parce que les événements qui ont amené à ce qu'Agnès soit torturée, comme l'a rappelé Madame Leclerc, violée, torturée, brûlée, dans un sous-bois, en plein après-midi, en pleine semaine. Ce qui est terrible à dire, c'est que c'est pas la faute à pas de chance. Il y a eu une succession d'événements de gens qui étaient pleins de bonnes intentions, qui prétendent avoir bien fait leur travail. Le plus terrible, c'est que personne n'a reconnu quoi que ce soit, que personne n'a semblé avoir le moindre doute sur ce qui s'était passé."

Qu'attendez-vous aujourd'hui ? Que des gens vous regardent droit dans les yeux et vous disent : "Oui, on s'est trompé, c'est de notre faute, on est responsable." ?

"J'attends surtout d'être sûr que cela n'arrivera pas à quelqu'un d'autre. J'attends d'être sûr que la collectivité : vous, Madame Leclerc, nous tous, nous nous posions des questions sur ce qu'il nous arrive. En l'occurrence, le Cévenol, c'est la Justice, l'Education nationale, deux institutions gérées par l'Etat, qui doivent de temps en temps se poser des questions et rendre des comptes. On fait tous des erreurs. On se doit au moins de se poser des questions sur nos pratiques professionnelles et de citoyens?."

Mais il y a eu un procès. Mathieu, le meurtrier de votre fille, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avant l'été. Donc, de ce point de vue-là, la machine judiciaire a fonctionné. A ce moment-là, en tout cas.

"La machine judiciaire a fonctionné... Il était difficile, pour l'accusé à l'époque, pour l'homme qui a été condamné, de nier les faits, il les avait reconnu peu de temps après que le corps d'Agnès ait été retrouvé. Donc effectivement, la justice est passée. Au moins pour celui qui a tenu le couteau. Pas pour tous ceux qui l'ont amené à être ici. Qu'est-ce qu'il faisait au Cévenol ?  Un établissement mixte au milieu de la nature ? C'est ça, la question."

Vous pensez que si la machine judiciaire avait mieux fonctionné en amont de ce drame, Mathieu n'aurait pas pu tuer votre fille, Agnès ?

"Je pense que c'est une succession de lâchetés. Le réquisitoire de la procureure était une des rares parties qui n'était pas huis-clos lors du procès, en juin dernier. Elle y dit clairement que parmi beaucoup d'événements, le juge d'instruction, au cours de la première affaire, du premier viol (c'était un viol aggravé sous la menace d'une arme), cet accusé a été libéré avant qu'elle ait reçu l'expertise du psychiatre judiciaire, qui était censé faire une recommandation sur son état. L'affaire d'Agnès a été la conséquence d'une succession d'éléments, d'événements, de personnes, qui se sont dits : "Quelqu'un d'autre fera bien le travail à ma place : quel ennui !" Je suis là pour dire qu'il s'agit pas d'un ennui mais de gens qui doivent dire ce qu'il s'est passé, pourquoi ils l'ont fait et ce qu'ils n'ont pas fait correctement."

On comprend évidemment votre douleur et votre émotion. Qu'est-ce qui vous donne encore la force de vous battre, de venir parler comme ça, publiquement ?

"Je ne sais pas. Enfin si, bien sûr... Des raisons personnelles. Et Agnès. Être face à une pierre tombale, pour une enfant de 13 ans, c'est difficile à vivre. Et puis la nécessité de savoir ce qui s'est passé. Ce n'est pas une raison de vivre, mais il est important pour tous de savoir ce qu'il s'est passé et ne pas simplement se dire : "C'est passé, laissons le temps faire son œuvre." Je ne veux pas en arriver là."