Le procureur de Nanterre demande à la garde des Sceaux plus de moyens pour les parquets.
Robert Gelli, procureur de Nanterre et président de la Conférence nationale des procureurs de la République
Voici ses déclarations :
Vous êtes le procureur de Nanterre et le président de la Conférence des procureurs. Christiane Taubira veut rapprocher la Justice du citoyen, à l'occasion d'une grande réforme qu'elle lance. Ça, c'est un discours de politique ou vous, l'homme de droit qui connaît la complexité du dossier, pensez que c'est possible ?
"Bien sûr que c'est possible. Mais il faut pour cela avoir des moyens importants et des décisions de fond importantes à prendre."
Qu'est-ce qu'il manque aujourd'hui comme moyen à la Justice ? Parce que le budget est en augmentation par rapport à l'année dernière, on l'a vu. Mais là, vous dites qu'il manque des postes, prioritairement.
"La Justice n'a pas été traitée de façon correcte depuis des années. 300 magistrats partaient chaque année, on n'en a recruté que 100. Inévitablement, au bout d'un moment, on a des postes vacants. Aujourd'hui, nous vivons cette réalité-là, avec un nombre de postes occupés qui est important. Déjà, il faut les occuper."
Sachant qu'il faut du temps pour les former, ces gens-là.
"Sachant qu'il faut du temps pour les former. C'est-à-dire que si on se met à recruter des magistrats maintenant, ils ne seront en poste que dans 31 mois compte tenu de la formation. On est vraiment dans une situation qui est de plus en plus compliquée au quotidien."
Ça veut dire, donc, que lorsque Christiane Taubira dit que les petits délits routiers doivent devenir des contraventions, donc passer non plus devant le tribunal d'instance mais le tribunal de police, est-ce que ce serait de nature à désengorger les tribunaux ?
"C'est une piste."
Importante ou pas ? On ne se rend pas compte de ce que ça représente dans les tribunaux.
"Ce sont des volumes importants, mais il faut voir jusqu'où le législateur peut aller dans ces modifications. Il ne s'agit pas de demander moins de choses à faire, mais à ce qu'on les fasse mieux."
Il faut quoi ?
"Il faut plus de possibilités, plus de temps, plus de capacités."
A Nanterre, chaque magistrat gère combien de dossiers ?
"C'est très difficile à dire, mais pour vous donner une idée, à Nanterre, il y a 110 000 dossiers à gérer et nous sommes 35. Vous faites la division et vous aurez ce chiffre."
110 000 plaintes pour 35 magistrats. J'ai sous les yeux une lettre signée de 134 procureurs sur les 164 que comptent notre pays, une motion dans laquelle ils font état de leur désespoir, de leur blues. Vous faites état de ce manque de moyens, mais de quoi manquez-vous : ce sont des hommes ?
"C'est d'abord des hommes. Il y a 3 magistrats du parquet pour 100 000 habitants en France, contre 10 pour la moyenne européenne. C'est quand même une réalité. En plus, nos missions sont plus larges que dans les autres pays européens, puisque nous travaillons de la prévention jusqu'à la répression, et en utilisant toutes les possibilités, toutes les voies. Notre société est de plus en plus en demande de justice. Cette difficulté n'est pas nouvelle, mais elle arrive aujourd'hui à un stade tel qu'on arrive à une situation d'accumulation et d'asphyxie qui est en train de se mettre en place."
Qui fait qu'aujourd'hui, vous n'arrivez plus à travailler comme vous le souhaiteriez. Robert Gelli, il y a le témoignage du numéro 3 de la gendarmerie diffusé la semaine dernière sur Europe 1, qui fait état du sentiment des victimes qu'on prend davantage soin des auteurs que des victimes. Quand c'est M. et Mme Toulemonde qui parle, c'est peut-être un peu caricatural, mais là, c'est le numéro 3 de la gendarmerie. Quand on dit que les auteurs de larcins sont relâchés très souvent, c'est la réalité ou pas ?
"Non, sûrement pas. Il y a une suroccupation en prison, on n'a jamais eu autant de détenus. Alors, on peut imaginer qu'on mette tout le monde en prison, c'est peut-être une réponse, mais ce qui est vrai, c'est qu'il y a une difficulté à apporter une réponse et à diversifier. La question, c'est pas de savoir si on met en prison ou pas, mais de savoir quel type de prise en charge, de suivi, de contrainte on peut assurer : des travaux d'intérêt général, enfin je sais pas... Toute une série de possibilités et c'est là aussi que nous avons cette difficulté. Et ce n'est pas seulement le parquet mais l'ensemble des personnels de la Justice. D'ailleurs, la réforme de la contrainte pénale, qui va être débattue au Parlement..."
La contrainte pénale, c'est l'alternative à la prison.
"Oui, voilà. La réforme de la contrainte pénale va supposer le recrutement d'un nombre important de conseillers d'insertion pour suivre les personnes condamnées à cette mesure."
Vous allez donc faire votre discours, une rentrée solennelle tout à l'heure à Nanterre, ça sera pareil dans tous les tribunaux et parquets de France. Qu'est-ce que vous allez demander concrètement à Christiane Taubira ?
"Vous savez qu'il y a un rapport contenant un 67 propositions qui a été écrit par l'ex procureur général de la Cour de Cassation, Jean-Louis Nadal. Donc, à Christiane Taubira, nous demandons à ce que l'essentiel de ces propositions, celles qui peuvent être le plus rapidement mises en œuvre, le soient. Notamment s'agissant des moyens humains, mais pas seulement, d'assistance aussi, technologiques, techniques, de façon à ce que les magistrats du parquet, qui sont aujourd'hui de plus en plus en difficulté et dont les plus jeunes s'éloignent..."
Ils veulent aller au siège, les plus jeunes.
"Oui, parce que les contraintes sont de plus en plus nombreuses."
Dernier point, très très concret : Christiane Taubira, évoquait parmi ses pistes, l'idée de guichet universel : un seul tribunal, qui prendrait toutes les plaintes, qui serait la seule voie d'accès pour tous les Français. C'est une bonne idée ou de la démagogie ?
"C'est une bonne idée d'imaginer qu'un justiciable puisse s'adresser à un seul guichet, mais ça ne résout pas ce qu'il y a derrière."