Par solidarité avec le peuple ukrainien, l'athlète handisport Ryadh Sallem refuse de se rendre à Sotchi, où se déroulent les JO paralympiques d'hiver.
Ryadh Sallem, champion paralympique de basket et de rugby
Ses principales déclarations :
Vous êtes handicapé de naissance, vous n'avez ni jambes ni mains, champion reconnu handisport en basket, rugby et natation. Pas des disciplines de JO d'Hiver mais vous étiez assez attendu à Sotchi, mais vous avez décidé de ne pas y aller...
"Par solidarité avec le peuple ukrainien. Si on n'a pas d'obligation importante d'être présent, en tant qu'athlète ou responsable politique, je n'ai pas trop envie d'accompagner ces Jeux. On va accompagner nos athlètes français avec le cœur, mais pas plus que ça."
Le sport ne doit-il pas être plus fort que la politique ?
"Il faut, mais il y a des enjeux. On a eu le même problème à Pékin avec le Tibet, j'étais dans le camp adverse, j'étais athlète, je trouvais dommage qu'on nous prenne en otage. Je comprends parfaitement les camarades qui partent là-bas : tous ceux qui n'ont pas forcément travaillé toutes ces années pour gagner leur place aux Jeux, qu'ils puissent avoir ce choix. Il ne faut pas amalgamer les choses."
Si vous aviez été skieur, vous seriez allé à Sotchi ?
"J'aurais été à Sotchi et j'aurais peut-être exprimé des choses. Je n'aurais pas levé le moignon car ça n'aurait pas servi à grand-chose mais je ne sais pas de quelle manière, j'aurais peut-être improvisé, j'aurais fait passer des messages forts."
Hors jeux paralympiques, le regard sur le handicap a-t-il vraiment évolué en France ?
"Il a évolué dans un bon sens évidemment puisqu'il y a eu cette loi de 2005 qui a permis pas mal d'ouvert dans le monde de l'entreprise, dans le monde politique, mais il a peut-être régressé dans d'autres domaines, avec cette loi qui ne va pas être appliquée pour 2015..."
L'obligation de rendre accessible lieux publics et transports repoussée de 3 à 5 ans...
"Même des fois 9 ans, on va jusque 2024... Quand j'ai appris ça, j'ai dit que c'était un drame, qu'il y a une énorme maladresse, une incompréhension de la réalité du terrain. Avant la loi de 2005, il y avait la loi de 1975, on a déjà pris 30 ans, et on va encore prendre 10 ans : c'est juste inadmissible. On demande un truc simple : ce qu'il y a écrit au-dessus de nos mairies, liberté, égalité, fraternité, ça se concrétise là-dessus. Ce qui m'embête, c'est quand je me dis "Tous les gens qui ont rendu leur lieu accessible, ils passent pour quoi ?" Ils auraient pu attendre le dernier moment, faire comme tout le monde, dire qu'on ne peut pas, qu'il n'y a pas d'argent..."
Vous en voulez au gouvernement ?
"Je n'en veux pas au gouvernement ; j'en veux à cette espèce d'absurdité. Nous sommes tous complices de cette histoire au final. Moi le premier : on est là à se dire 2015, on a attendu, on aurait pu mieux accompagner, être plus présents, se demander où on en était, exiger de savoir les résultats, pas être attentifs. Là c'est le choc, on se prend ça en pleine tête, et on se dit : "Qu'est-ce qu'on va faire ?" Il faut réagir, ne pas laisser ça en état. Evidemment il faut réviser cette loi par rapport à cette date de 2015."
Il faut mettre de l'argent, en faire une priorité ?
"Ça va créer énormément d'emplois ! On nous dit : ça va être des services civiques... Je veux bien, mais c'est une plaisanterie."
Les entreprises jouent le jeu ?
"Les entreprises jouent énormément le jeu. Il y a énormément de chômeurs chez les handicapés, mais de plus en plus de gens sont embauchés, les écoles font un effort pour pouvoir former. On ne va pas rattraper tant d'années de retard en à peine 10 ans, on sait très bien que ce ne sont pas les métiers de la manutention qui vont embaucher le plus de personnes handicapées, ce sont souvent des métiers de service, un peu plus d'un certain niveau. Bien sûr il y a encore beaucoup de personnes handicapées au chômage, mais quand on englobe tout le monde du handicap, il y a de plus en plus de personnes handicapées actives et qui ne sont pas juste des travailleurs employés, il y a beaucoup d'handicapés dans le monde associatif, qui ne sont pas des salariés mais qui produisent de la richesse."
Qu'est-ce qui va être compliqué pour vous entre le moment où vous allez quitter Europe 1 et celui où vous allez vous installer dans l'avion que vous devez prendre dans quelques heures ?
"L'accessibilité, descendre les escaliers, avoir le taxi, arriver jusqu'à l'avion... Après, peut-être qu'à l'aéroport on aura des difficultés car nous sommes une équipe de basket fauteuil, ça nous arrive d'avoir des problèmes pour enregistrer les fauteuils... Nous allons faire le premier tour de Coupe d'Europe en Suède. Il y a toujours quelques tracas : la SNCF nous dit qu'on ne peut pas mettre les fauteuils à tel endroit, comme ci, ça devient de plus en plus compliqué. On fait des règles. Avant c'était du bon sens humain ! "C'est pas grave, on va vous porter", etc. Maintenant, c'est "Oh, sécurité ! On n'a pas le droit, si vous tombez... On préfère que vous ne partiez pas, comme ça on est garantis de la sécurité." Des choses relèvent de l'absurde. Avant, c'était peut-être des fois un peu moins accessible mais on avait l'humain qui parlait, qui prenait la responsabilité de. On a de plus en plus de technologie, des technologies qui s'humanisent, des humains qui se machinisent. C'est un peu compliqué."
Qu'est-ce qui vous rend malheureux aujourd'hui ?
"Le handicap, c'est une question de civilisation, je le dis souvent. On va tous avoir des problèmes de déplacement, avec l'âge : tant mieux, on gagne sur la mort, on a de l'espérance de vie. Mais de l'espérance de vie sans autonomie, sans pouvoir se mouvoir, bouger, vivre son quotidien, je trouve ça un peu dommage."
Qu'est-ce qui vous rend heureux ?
"De voir que des gens le font avec le sourire tous les jours, des gens qui se battent, il y a quand même des gens qui sont heureux, il faut maintenir ce bonheur-là en majorité. Des gamins, quand on leur fait découvrir le basket fauteuil... Plein de choses me rendent heureux au quotidien, plus que ce qui me rend malheureux. Mais je sais quand même être alerte : je m'aperçois que le côté un peu obscur commence à nous envahir. Il ne faut pas tomber dans ce piège-là."