Natacha Polony, La Revue de presse 24.03.2016 1280x640 6:05
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La presse quotidienne revient ce lundi sur la guerre que va devoir mener l'Europe contre le terrorisme et sur l'émotion qui secoue Bruxelles et la Belgique.

Ce matin en Une de vos journaux ce sont des photos d’hommes en armes, de militaires cagoulés, comme pour nous dire que si nous refusons de nous dire en guerre, la guerre est bien arrivée jusqu’à nous.
Le Monde : L’Europe face au défi du terrorisme.
Le Figaro : Terrorisme : l’Europe peut-elle se défendre ?
Le Parisien : Lutte anti-terroriste : ce qu’il faut changer maintenant.

L’émotion du peuple belge

Elle est en Une du Soir de Bruxelles : L’émotion d’un pays, avec là-bas comme ici, ces passants qui viennent écrire leur tristesse sur les pavés et les monuments. En Une de La Croix, c’est ce jeune garçon portant comme un foulard de deuil les trois couleurs de la Belgique. Et ce titre : Résister. Mais comme nos voisins garderont toujours la fantaisie qui leur est propre, Le Monde nous raconte ces plaisanteries qui sont immédiatement venues exprimer le refus de l’horreur. Faites des frites pas la guerre, tracé sur un mur. Et cette femme qui répond à un cameraman britannique décontenancé en racontant qu’elle devait partir en Turquie la semaine prochaine avec son mari : "Là-bas aussi, il y a des attentats. Alors, aujourd’hui, j’ai pensé : Si c’est comme ça, je préfère encore me faire péter chez moi. On va à Knokke-le-Zoute". Il y a un petit silence. Le journaliste arrête la caméra : "Vous êtes sérieuse ? Désolé, je ne peux pas diffuser ça".

Europe et sécurité

C’est l’Europe qui est omniprésente dans les journaux, une Europe dont on se demande une fois de plus si elle va continuer à démontrer son impuissance. "En frappant à Bruxelles, s’interroge Bernard Stefan dans La Montagne, les terroristes ont-ils choisi sciemment une des capitales de l’Europe ?" C’est donner beaucoup de crédit à leur intelligence. Quoiqu’il en soit, volontairement ou fortuitement, ils font remonter à la surface une grande question déjà posée depuis les attentats de 2015 : Pourquoi l’Europe est-elle un géant aux pieds d’argile face à la menace ? Dans Le Monde, une tribune d’Eric Delbecque tente d’ouvrir des pistes en matière de sécurité en rappelant tout d’abord qu’il n’y a rien qui ressemble à une 5ème colonne. "Ce n’est pas dans un surcroit de surveillance électronique que se trouve le secret d’une appréciable capacité d’anticipation, mais dans le travail intellectuel, psychologique et sociologique entre des opérationnels et des experts des sciences humaines tentant de lire le phénomène terroriste islamiste". Ne pas jeter à la pierre à la Belgique donc dans la mesure où certains de nos territoires perdus n’ont rien à envier à Molenbeek.

Naïveté

La Belgique a-t-elle été naïve ? Les mots de Michel Sapin sont partout commentés. Dans Libération, c’est une chercheuse belge, Corinne Torrekens, qui explique que certes, le salafisme a pignon sur rue en Belgique, mais que la grande majorité des salafistes sont piétistes et apolitique. Aucun lien donc avec la violence. Mais dans Le Monde, l’historien Pierre Vermeren décrypte en détail l’histoire de l’implantation d’un islam intégriste en Belgique à partir de l’immigration marocaine venue du Rif. Les radicalisés, dit-il, sont très difficiles à ramener à la raison car leur croyance ne tient pas compte du réel. Il évoque les ratés de l’intégration qui passe selon lui par une excellente maîtrise de la langue et des référents culturels. "Je déplore qu’on manque d’ambition scolaire. On a renoncé à être exigeant à l’école pour ne pas pénaliser les défavorisés. En fait, on les pousse parfois vers l’obscurantisme et l’aventure sans retour". Lutter contre l’obscurantisme, c’était le projet des Lumières. Mais l’Occident les a abandonnées en même temps que l’universalisme.

Débat intellectuel

C’est un bas à droite de la Une de Libé comme une pastille incongrue, en-dessous de la photo des terroristes traversant l’aéroport de Bruxelles. Vieux sage ou néo-réac ? Le cas Marcel Gauchet. Le tribunal de la pensée se livre à des études de cas. Après Michel Onfray et quelques autres, c’est donc le philosophe Marcel Gauchet que son attachement au libéralisme et à la sociale démocratie ne sauveront pas. Et puis, il signe un livre intitulé "Comprendre le malheur français". Autant de négativisme, de nostalgie, quelle honte. Passer à ce point à côté du réel, c’est un art.

Loi Travail

C’est un chiffre dans Le Parisien. 71% des Français sont contre la loi Travail. Et 62% pensent que les aménagements ne changent pas grand-chose. Mais dans Le Monde, c’est un volet de la loi qui fait débat. Celui qui prévoit la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses sauf si elles entravent le bon fonctionnement de l’entreprise. Problème pour le journal, Marine Le Pen et Jean-François Copé sont entrés dans le débat. Du coup, il est clos. D’autant que l’état actuel du droit européen consacre cette liberté religieuse. Les chefs d’entreprise se débrouilleront donc. Et l’on continuera à abandonner certains pans du débat à la seconde où s’en saisissent des gens jugés infréquentables.

 

C’est un article étonnant sur le site Slate. Imaginiez-vous que cela  existait : le vol de prénom. Aux États-Unis, plus de la moitié des 12.000 personnes interrogées par une émission de télé pensent en effet que cela existe. Vous vous êtes donné du mal pour choisir un prénom original à votre enfant et un couple d’amis choisit le même. C’est une écrivain américaine qui a lancé l’idée en racontant qu’elle avait rompu pour cela avec sa meilleure amie depuis 30 ans. Le prénom, désormais, est une propriété privée. Dans une société où il est surinvesti par les parents, où il doit être gage d’unicité, où l’on imagine même qu’il favorise les trajectoires professionnelles, se retrouver tout à coup avec un prénom porté par d’autres, c’est retomber dans l’anonymat. Cela mériterait une étude : un prénom banal induit-il un besoin de se forger une identité fantasmée à travers l’adhésion à une idéologie sectaire ? Le délire narcissique des sociétés occidentales est un des symptômes d’une crise dont les métastases se retrouvent à Bruxelles ou à Paris.