Après sa garde à vue, Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour corruption active, trafic d'influences et recel de violation du secret professionnel. La Justice réserve-t-elle un traitement particulier à l'ancien Chef de l'Etat ?
Ce matin à 7h15, Europe 1 proposait "La question qui fâche" : La justice réserve-t-elle un traitement particulier à Nicolas Sarkozy ? Avec Me Eric Morain, avocat pénaliste au barreau de Paris.
Ses principales déclarations :
"Acharnement ? En tout cas, on peut parler d'un profond malaise : le judiciaire vient peser sur le jeu politique."
Tout autre justiciable aurait pu être mis en examen et en tout cas placé en garde à vue pour les mêmes faits...
"Je ne suis pas certain. On a des méthodes employées dont on peut s'interroger quant à leur proportion : gardes à vue croisées, écoutes à grande échelle, sur la base d'écoutes qui seront peut-être déclarées illicites."
"On a des précédents où des hommes politiques ont été mis en cause sans passer par la case police : dans l'affaire Clearstream, Dominique de Villepin a toujours été convoqué par les juges d'instruction. Il y avait une sorte d'usage républicain qui n'a pas bénéficié à Nicolas Sarkozy."
Pourquoi cet usage républicain ? Selon que vous soyez puissant ou misérable...
"C'est une question aussi qui se rapporte à la nécessité de l'enquête : ce passage en garde à vue était-il nécessaire ? Il a été en garde à vue pendant quinze heures mais n'a dû être entendu que quelques heures… Alors qu'il n'a pas été, contrairement aux magistrats, interpellé à son domicile ? Il a été convoqué, il savait qu'il allait répondre, il a pu préparer sa défense, il pouvait être convoqué par les juges dans des conditions qui sont habituelles."
Les magistrats ont le dossier : c'est peut-être ça qui motive le placement en garde à vue ?
"D'ailleurs c'est, à une période où la France est sous le feu de l'actualité du contrôle de la CEDH, un vrai souci : ils ont le dossier, mais pas l'avocat, pas la personne gardée à vue. Ça nous renvoie à un combat de tout justiciable, inclus Nicolas Sarkozy, d'avoir accès au dossier."
Les gardes à vue des magistrats n'émeuvent personne...
"Détrompez-vous : ça émeut le monde judiciaire. On parle d'écoutes initiales concernant un avocat, un ancien Président lui-même avocat, ces discussions ont été largement écoutées, on parle d'une mise en examen pour violation du secret de l'instruction alors que dans deux jours nous aurons les PV d'auditions de Nicolas Sarkozy dans les journaux : on a une vraie disproportion à mon sens par rapport aux infractions reprochées !"
Les chefs de mise en examen sont punis d’un maximum de 10 ans de prison, 1 million d'euros d'amende, 10 ans de privation de droits civiques...
"Les mises en examen a maxima pour qu'au final devant un tribunal correctionnel on ne retienne que des infractions minimes, c'est aussi une habitude la Justice pénale"
Que dirait-on si la Justice ne s'occupait pas de ces dossiers ?
"Personne n'a demandé que la Justice ne s'en occupe pas, mais elle peut le faire de différentes manières, il y a différents traitements. Le malaise est triple pour moi : il y a un timing. On a des juges dans une tour d'ivoire qui ignorent qu'on est à un pic d'actualité concernant une personnalité et pas des moindres qui serait susceptible de revenir dans le jeu politique..."
Cet automne, on aurait dit que ça allait peser sur le congrès de l'UMP... Il n'y a pas de bon timing...
"Il n'y sans doute pas de bon moment mais il y a de meilleures méthodes ! La méthode de garde à vue est stigmatisante et infamante, ils le savent. Médiatiquement et judiciairement. Je n'accuse pas les juges de faire de la politique : j'accuse les juges de ne pas tenir compte d'un certain contexte, mais ils sont libres de leur calendrier ! Il y a une méthode retenue, elle est critiquable ; on n’était pas obligés de passer par la garde à vue, ils pouvaient le convoquer, les convoquer, directement. Et cette disproportion qui est pour moi la chose la plus importante."
Les politiques, les avocats, les journalistes ne devraient-ils pas laisser la Justice faire son travail ?
"On a le risque que le citoyen lambda qui met son bulletin dans l'urne se positionne politiquement par rapport à une affaire judiciaire. Vous allez avoir une porosité entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique à cause de la manière et des méthodes retenues par certains juges."