En observant les enfants, Anne Cazaubon s'intéresse aux liens qu'ils entretiennent avec leurs parents. Ce mercredi, elle s'intéresse notamment au rôle du père.
Le mercredi, on parle des petits. Ces petits, je les observe autour de moi, dans la vraie vie, dans les transports, dans les magasins, à la sortie des classes, dans les parcs. J’observe les petits et le lien qu’ils entretiennent avec leurs parents, toujours riche en enseignement ! L’autre jour, sur ce quai de gare en rase campagne, j'attends ce TER qui tarde à venir. Les lieux sont quasiment déserts mais à côté de moi, il y a ces deux garçons qui attendent eux aussi. Deux frères, de 8 et 14 ans environ. Comme tous les frères d’ailleurs, ils se cherchent, et visiblement ils se trouvent ! Comme deux lionceaux en pleine brousse, ça se griffe, ça se pince, ça se tape, ça joue et parfois ça dérape ! Le petit tire les cheveux du grand, le grand fait une balayette au petit, le petit monte sur le dos du grand, le grand prend le petit pour son punching-ball personnel.
Oui, c’est le moment du "presque fait divers". Le moment de la sortie de route, le moment du dérapage, qui pousse le petit à prendre la mouche, à s’éloigner sur le quai, à disparaître dans la gare. Quelques minutes plus tard, il revient avec le père, qui visiblement flânait au Relais H. L’enfant lui donne la main et cherche quelque chose qui se rapprocherait d’une protection. Ils avancent tous les deux vers l’adolescent qui lui n’a pas bougé. Je me dis qu’il va se faire remettre en place, qu’il va se prendre une volée de bois vert, mais rien. Pas un mot.
Le père fait figure d'autorité et de sécurité
Le père ne dit rien et la "bagarre déguisée" reprend de plus belle entre le grand et le petit. Le père, lui, a le nez plongé dans son portable. Il ne voit pas les deux enfants continuer à alterner entre taloches bienveillantes et coups fourrés ! Ils jouent désormais au tir à la corde, sauf qu’il n’y a pas de corde. Ils se tiennent la main, tout en se tirant vers l’extérieur. L’animosité est grande et c’est là que l’adolescent, en pleine conscience, lâche la main de son frère, qui emporté par son poids, s’écrase sur le quai, la moitié du corps dans le vide, au-dessus des voies ferrées.
Je dois vous avouer qu’à ce moment-là, nous sommes quelques-uns sur ce quai à avoir vécu une chute de tension, une attaque de tachycardie et à avoir fait un pas ou deux vers eux, avant de réaliser que le petit se relevait. A avoir fait un pas ou deux vers eux, à la place du père qui lui, n’a jamais bronché. D’un coup, en tête, à la vue de la tête du petit, qui s’est relevé tout seul, comme il a pu, sans la moindre compassion, ou attention, j’ai entendu cette phrase de cette thérapeute qui répétait en boucle que l’enfant apprenait à aimer dans les bras d’une mère et que le père, lui, servait de tremplin dans la vie, qu’il invitait l’enfant à une certaine prise de risque, en l’ouvrant au monde, en lui permettant d’accéder à l’autonomie. Et que cette prise de risque était d’autant possible que le père faisait figure d’autorité et de sécurité.