En prenant le métro, Anne Cazaubon s'est retrouvée face à son adolescente intérieure. Elle en a profité pour lui glisser un petit mot.
Aujourd'hui, je suis partie en quête de l'adolescent oublié. Sauf que ce n’était pas vraiment mon objectif initial. Oui, pour tout vous dire, les yeux dans le micro, ce matin, je ne savais pas trop de quoi j’allais vous parler cet après-midi. Oui, je reste une femme fragile, avec ses failles et son angoisse de la page blanche. Moi aussi je "chemine" comme on dit. Moi aussi, je suis l’itinéraire bis du développement personnel. C’est pour cela que j’ai décidé de m’en remettre à plus grand que moi, de voir ce que l’on m’enverrait comme message, quelle leçon de développement personnel on mettrait sur ma route. J’ai donc décidé de me laisser porter par mes sens, d’ôter ce casque de musique vissé sur mes oreilles, de lever le nez de mon smartphone et de choisir la danse de la vie, plutôt que de marcher comme un zombie.
Quand soudain, cette odeur, si familière, ce parfum entêtant de vanille un peu trop sucrée. Je ne saurais dire qui le porte sur ce boulevard, tant les vents ici sont contraires. Et pourtant, c’est sur cette artère bouchée, que ce parfum se fraye un chemin jusqu’à mon cœur. D’un seul coup, j’ai 12 ans. Je l’ai porté ce parfum-là, une toute petite fiole que j’avais achetée sur un marché en Bretagne. Avec le recul, l’âge et le discernement qui va avec, le truc cocotte sérieusement ! Franchement, il n’y a qu’une adolescente secrètement amoureuse de son voisin de classe, en cours de maths, qui peut se persuader qu’il va craquer pour ce concentré de vanille chimique. C’est donc un peu shootée que j’ai failli passer à côté d’elle.
Pourtant elle est là, devant moi, dans ce métro, l’adolescente que j’ai été. A moins que. Non, c’est bien une adolescente de 2018. Un double intérieur incarné, là, devant moi, comme si toutes ces pensées nostalgiques générées par ce parfum à la vanille, l’avaient faite apparaître. Elle est là, un peu à distance, planquée sous sa frange et ses écouteurs et tente de cacher ses larmes sous la lumière blafarde de la ligne 14. Elle aussi a 12 ans. Et elle aussi, "traverse l’adolescence" comme disent les psys. Et pour elle aussi, le métro, c’est son sas de décompression.
A la découverte d’une "no-go zone émotionnelle"
Comme souvent dans ces moments-là, j’ai cette phrase d’une thérapeute en tête, qui répétait que c’est en étant l’adulte que nous aurions aimé avoir à nos côtés à ce moment-là, que l’on réparait quelque chose de profond en nous. Que lorsque l’on réalisait que l’on était touchée par quelqu’un, par son émotion, on se mettait en reliance avec cette personne, et surtout, on contacte quelque chose "en nous", que nous avons en commun avec cette personne. Ce que je vois en toi, et qui me touche, c’est que je l’ai en moi également. On peut d’ailleurs remercier l’autre intérieurement, de nous montrer où restent les failles, les chantiers à terminer, ceux à lancer. Et parfois, au détour d’une rencontre dans les transports, la découverte d’une "no-go zone émotionnelle".
Elle pleure tellement, que si je m’écoute, je la prends dans mes bras, cette petite de 12 ans qui fait tout pour étouffer ses sanglots. Mais bien sûr, c’est délicat. Je suis une adulte, la rame est bondée, je ne veux pas passer pour une folle et surtout, peut-être qu’elle ne comprendrait pas. Alors j’ai opté pour autre chose, pour un message qui dirait : "Je t’ai vue, j’ai vu ta peine." J’ai attrapé un carnet, j’ai arraché une page sur laquelle j’ai écrit : "Ceci est un petit mot de réconfort." Et je lui ai glissé dans la main avec un paquet de mouchoirs en papier.
Je ne me suis pas retournée, pour voir sa réaction, ça lui appartient pleinement. Et là, juste devant moi, comme une réponse, comme un mantra pour l’adulte en chemin que je suis, il y a cette dame, avec ce sac en tissu, sur lequel est écrit cette phrase de Gabrielle Chanel : "J’ai choisi ce que je voulais être et je le suis." Et vous, qu’est-ce que vous aimeriez lui dire à l’adolescent que vous étiez ?