Chaque samedi et dimanche, François Clauss se penche sur une actualité de la semaine écoulée. Aujourd'hui, Paris est en passe de devenir la capitale des fondations privées.
"Clauss toujours". L'humeur de François Clauss, tous les samedis et dimanches matins à 8h55 sur Europe 1. Bonjour François.
Bonjour Wendy, bonjour à tous et toutes.
Je suis allé aux Galeries Lafayette cette semaine. Non, non, pas pour faire du shopping. Non, non, pas Boulevard Haussmann. Je suis allé voir de l'art contemporain, rue du Plâtre, au cœur du Marais, à Paris. Je suis allé à la Fondation Galeries Lafayette. Après Cartier, après LVMH, et avant Pinault, dans un an, qui investira la magnifique Bourse du commerce du quartier des Halles, Paris est en passe de devenir la capitale des fondations privées. Cartier fut le précurseur, avec la superbe façade épurée de verre et d'acier, au milieu des années 90, signée de l'architecte Jean Nouvel sur le Boulevard Raspail.
Cette captation à l'anglo-saxonne du marché de l'art contemporain par les plus grandes fortunes du CAC 40 et de la grande distribution au pays des musées nationaux pose question. Conséquence de la fameuse loi Aillagon du début des années 2000, qui offre aux mécènes du privé une défiscalisation dorée. Un investissement d'un million d'euros dans l'art contemporain permet de déduire pendant 5 ans 200.000 euros de son résultat fiscal.
Formidable vecteur de communication aussi, qui a permis à la marque Cartier de mondialiser son image grâce à son investissement dans l'art. Mais à l'arrivée, que deviendront demain nos grands musées ? Le Louvre, Beaubourg, Orsay, navires amiraux du tourisme à Paris, ont encore de beaux jours, bien sûr. Mais quand on voit que LVMH débourse 13 millions d'euros pour offrir au public la magnifique collection russe Tchoukine. Alors que le budget moyen d'une exposition au Grand Palais se situe entre 1 et 2 millions d'euros qui pourra, demain, résister à cette inflation entretenue par quelques grandes fortunes ? Effet pervers d'une défiscalisation, supportée finalement par le contribuable et qui accélère la marchandisation de l'art.
Et pourtant, comment ne pas s'en réjouir ? Le résultat est là : grâce aux fondations privées, conçues par les plus grands architectes du monde : l'Américain Frank Gerry dans le Bois de Boulogne, le Néerlandais Rem Koolhas dans le Marais. Et bientôt le Japonais Tadao Ando, dans les Halles. Des monuments qui seront demain classés et qui marqueront l'histoire de Paris. L'exposition Tchoukine a attiré un million 300.000 visiteurs. On n'avait pas vu ça à Paris depuis l'exposition Toutankhamon en 1967.
Comment ne pas se réjouir que la ville d'art et de lumière, aujourd'hui endormie, se réveille grâce à ces fondations qui révèlent les grands artistes de demain ? C'est grâce à l'art et aux architectes que Berlin est redevenue l'une des villes les plus attractives d'Europe. La capitale sinistrée du pays basque, Bilbao, reçoit un million de visiteurs chaque année grâce à la Fondation Gugenheim. Quand on se promène à minuit sur les trottoirs déserts du quartier de Montparnasse, il faut une petite plaque dorée, rue de la Grande chaumière, pour se souvenir que Gauguin, Modigliani et les autres enflammaient Paris il y a moins d'un siècle, alors que l'argent du CAC 40 redonne de la vie à Paris. Oui, il faut s'en réjouir !