Chaque samedi et dimanche, François Clauss se penche sur une actualité de la semaine écoulée. Aujourd'hui, l'annonce d'Emmanuel Macron d'une fondation pour la mémoire de l'esclavage.
"Clauss toujours". L'humeur de François Clauss, tous les samedis et dimanches matins à 8h55 sur Europe 1. Bonjour François.
Bonjour Wendy.
Le poids de l'image, le choc des mots. Rien n'a été laissé au hasard hier par le Président Macron, dans ce décorum tellement chargé d'histoire du Panthéon, lorsqu'il a annoncé la création d'une Fondation pour la mémoire de l'esclavage. Devoir de mémoire présidentiel pour ne pas oublier les douleurs d'hier, devoir d'avenir pour conjurer la haine et le rejet de l'autre. Incarner la mémoire nationale est devenu en France une charge étatique.
Si le Général de Gaulle, - peut-être parce que lui écrivait l'histoire en direct - ironisait "sur les cérémonies chrysanthèmes", c'est Jacques Chirac, en 1995, qui a impulsé ce devoir avec son fameux discours du Vel d'Hiv, assumant pour la première fois la responsabilité de l'Etat dans la déportation des juifs. Ce devoir fut relancé par Christiane Taubira en 2001, où l'on inscrivait dans la Loi que la traite des Noirs fut bien un crime contre l'humanité.
Ce devoir de mémoire habita les 5 années de la présidence Hollande, meurtries par les attentats. Ce devoir de mémoire, le Président Macron s'en empare dans les ruines d'Ouradour sur Glanes, il y a un an, jusqu'à la crypte du Panthéon hier. Ce furent d'ailleurs les derniers mots de François Hollande à son successeur : "Il est plus que jamais nécessaire de faire la paix des mémoires." Si François Hollande avait besoin de ressouder une nation fissurée et abasourdie, il y a peut-être un peu plus chez Emmanuel Macron, comme si cette quête de mémoire, cette incarnation du roman national, était aussi une manière d'instiller une pause dans la frénésie réformiste du plus numérique de notre Président.
Comme si à l'heure du digital, nous avions tous aussi quelque part un peu peur de ce "grand blanc". Comme le titraient cette semaine nos confrères du Parisien, interrogeant neurologues et philosophes sur notre perte inexorable de mémoire à l'heure du numérique, qui connait encore par cœur le numéro de téléphone de l'être aimé, de ses propres enfants, tous consignés dans notre répertoire numérique ? Qui se souvient encore des dates d'anniversaire, à l'heure de Facebook ?
Dans son magnifique dernier roman graphique, intitulé "Bug" (chez Castermann), le dessinateur et visionnaire Enki Bilal va plus loin encore. Il nous décrit Paris en 2041, à l'heure de l'internet totalement dévitalisé. Tous les disques durs et leurs contenus qui disparaissent, des ascenseurs qui restent bloqués, des avions qui se crashent. Enki Bilal, effaré de voir cette jeunesse perdue dans le digital, qui ne sait plus rien du passé, comme si le monde commençait là, tout juste. Sans préjuger de la fin (le tome 2 est à venir), on comprend que celui qui sauvera ce monde en perdition sera celui qui a encore de la mémoire.
La mémoire pour survivre chez Bilal, pour assumer le pouvoir chez Macron. Pour ne pas oublier le goût des choses. Tous les œnologues vous diront que pour apprécier un vin, il faut apprécier avant toute chose son odeur, savoir ressentir une note de chèvrefeuille, de mandarine ou de sous-bois humide. Oui, la mémoire pour vivre, pour survivre et ne pas oublier d'aimer.