Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Hier, la Commission européenne a recommandé d’ouvrir des négociations d’adhésion à l’UE pour la Moldavie et pour l’Ukraine. L’arrivée de ce pays au sein de l’Union européenne bouleverserait totalement la donne agricole et alimentaire pour les membres historiques. Cela suscite des craintes.
L'Union européenne, c'est une grande puissance agricole, lentement construite, depuis les années 60, avec la politique agricole commune. L'Union est devenue le 3e acteur mondial pour la valeur de sa production. L'Ukraine seule, c'est déjà un géant vert. Avant la guerre, elle est le premier acteur mondial de l’huile de tournesol, le deuxième pour le colza, le quatrième pour le maïs et l’orge, le cinquième pour le blé. Elle exporte 70% de sa production. Si on cumule la puissance ukrainienne et celles de l’UE, l’ensemble se classe au premier rang mondial agricole. C’est un élément de puissance géopolitique crucial pour le prochain siècle.
Cela paraît plutôt une bonne nouvelle. Pourquoi l’arrivée possible de l’Ukraine dans l’UE suscite–t-elle des craintes ?
Parce que si le processus se poursuit, Ce qui bien sûr prendra du temps, Il faudra reconstruire et moderniser l'agriculture ukrainienne ébranlée par la guerre. Il y a de gros investissements à faire pour améliorer les rendements, les équipements, la sécurité sanitaire. La production agricole va augmenter. Tout cela au moment où le reste de l'Europe va appliquer la stratégie verte agricole, qu'on appelle Farm to fork, qui inclut de fortes contraintes environnementales. Dans l’ancienne Europe, la production de nourriture va baisser, de peut-être 20%. Ce qui se profile, c'est une Europe agricole à deux vitesses, avec des acteurs historiques au ralenti pendant que l'Ukraine, elle, exploserait les compteurs de production. Le centre de gravité agricole va se déplacer radicalement à l’Est.
La crainte, c'est une arrivée massive de productions ukrainienne sur nos étals.
C'est déjà un peu le cas; il y a des accords commerciaux avec l'Ukraine et les droits de douane ont été en partie supprimées pour soutenir l'économie en guerre. Les agriculteurs de la vieille Europe agricole redoutent de fortes distorsions de concurrence intra-européenne. D'une part, parce que les règles en Ukraine seraient moins disantes dans un premier temps, et d'autre part, parce que les salaires y sont bas. Des filières entières pourraient être menacées. Céréales, volaille, œufs. Et aussi la filière bio. On s'est assez peu, mais l'Ukraine, c'est le second fournisseur de l'Union européenne en produits bio.
Et puis il y a toute la question de l'argent de la politique agricole commune.
La politique agricole commune, c'est la seule politique intégrée de l'UE. Quand il y a un nouvel entrant, il faut partager des fonds relativement constants.
L'Ukraine, c'est 44 millions d'hectares de surfaces agricoles. Une fois et demi de plus que la France qui est la plus grande surface agricole d'Europe. Trois fois plus que la Pologne.
Comme une grande part des aides de la PAC dépendent des surfaces, L'Ukraine deviendrait d'entrée de jeu le premier bénéficiaire de la PAC. Si l'on raisonne avec le fonctionnement actuel de la PAC, l'Ukraine pourrait, au cours de ses sept premières années d'adhésion, bénéficier de 96 milliards d'euros. Et pour y arriver ? Il faudrait baisser les subventions pour les autres agricultures de 20%. On comprend bien que doper la puissance ukrainienne en affaiblissant les agricultures nationales, ce n’est pas du goût de tout le monde.