Un jeune philosophe russe, dont l'arrière-grand-père a été fusillé, veut traduire en justice tous les responsables des meurtre de masse sous Staline.
Dans la presse internationale, les crimes de masse commis sous Staline seront-ils un jour jugés en Russie ? Un jeune Russe veut y croire, il a d’ailleurs fait dans les archives une découverte rare, qui enflamme le débat.
Denis Karagodin est un jeune philosophe. Depuis des années, il tente de retracer l’histoire de son arrière grand-père, fusillé en 1938. Récemment, il a reçu par la poste ce rapport incroyable provenant du FSB, les services de sécurité russes : la liste des 35 personnes fusillées en même temps que son aïeul, dans la ville de Tomsk à 3.000 kilomètres de Moscou. Avec cette liste, il a également eu les noms de toutes les personnes impliqués dans la décision, et c’est ça qui est fascinant car sont cités Staline lui-même, les patrons du NKVD, et jusqu’aux procureurs qui ont instruit le procès, les noms des bourreaux qui ont appuyé sur la gâchette, même les dactylos qui ont recopié les aveux extorqués sont identifiés. C’est absolument inédit, tout le système de la grande terreur stalinienne apparaît.
Et l’histoire de son arrière-grand-père, est emblématique. C’était un paysan qui exploitait ses terres le long du fleuve Amour. Quand la collectivisation forcée des campagnes est lancée, en 1929, il s’y oppose et il est envoyé en Sibérie. À son retour, il reprend sa vie. Mais en 1937, Staline décide de se débarrasser de ces éléments perturbateurs, c’est ce qu’on appelle la grande terreur. En 16 mois plus d’1,5 million de personnes sont arrêtées, jugées dans des simulacres de procès et 800.000 d’entre elles seront fusillées.
Mais personne n’a jamais payé pour ces crimes ?
Non personne. Pas de commission de réconciliation en Russie ni de tribunal et c’est ce qui rend cette découverte exceptionnelle. Kragodin veut traduire tous les responsables en justice pour meurtre de masse en groupe organisé. En clair, il réclame le procès public du stalinisme. Et les réactions sont passionnées. La descendante de l’un des bourreaux a appelé pour le remercier. Des éditorialistes le saluent : Personne n’avait eu l’idée d’engager des poursuites sur la base du code pénal. D’autres disent leur écœurement de voir que le tyran est toujours célébré puisque des statues de Staline sont toujours érigées et des rues baptisées de son nom. Mais d’autres, et ils sont nombreux, condamnent une volonté porteuse de division. Qu’il réfléchisse aux conséquences de sa quête de vérité, écrit le journaliste Dmitri Olchanski, qui doute que ce procès, dans la Russie de Poutine, puise jamais s’ouvrir.