Éclipsé par l'omniprésence d'Emmanuel Macron, à la tête d'une majorité qui n'est pas la sienne, Edouard Philippe cherche encore sa place au sein de l'exécutif.
Il se la joue un brin "bad boy", propret, jean moutarde et chemise sans cravate pour recevoir hier ses ministres à Matignon ; un brin "cow-boy" à la Une de Libé la semaine dernière, prêt à dégainer, ses lunettes, pas son colt. Il s’est révélé habile et tempéré bretteur face à Jean-Luc Mélenchon ; on a découvert son sens de l'humour, pas tiré par les cheveux… Mais est-ce que ça suffit pour imprimer, est-ce que ça suffit pour s'imposer ?
Une majorité qui n'est pas la sienne. Non. Edouard Philippe est à la tête d'une majorité qui n'est pas la sienne, mais celle d'Emmanuel Macron. Il n'est d'ailleurs même pas membre de celle-ci. "A-partide" dès mardi, puisqu'il doit être exclu des Républicains, va-t-il rejoindre La République en marche ou rester ce Premier ministre, dont les vrais amis se comptent dans le groupuscule des "constructifs" de l'assemblée ?
Dans l'ombre d'Emmanuel Macron. Quelle latitude a-t-il vis-à-vis d'Emmanuel Macron ? Le président n'a jamais caché qu'il souhaitait renouer avec l'esprit originel de la Vème, mais aucun président n'a à ce point fait peu de cas d'un premier ministre qui ne cesse pourtant de jurer de sa loyauté. Il suffit de se rappeler comment il a recadré son discours de politique générale. À peine Edouard Philippe avait-il présenté son agenda des réformes, qui remisait à plus tard la réforme de l'ISF et de la taxe d'habitation, qu'Emmanuel Macron lui rappelait qui était le chef et remettait tout ça à l'endroit. Avec le résultat que l'on sait. Mais soldat parfait, même devant la bronca soulevée par cet ISF, lors de l'Emission politique sur France 2, Edouard Philippe bravache, continuait à soutenir : "J'assume". Résultat, c'est la majorité qui aujourd'hui tente de rectifier le tir.
Une expérience d'élu à exploiter. Mais comment pourrait-il s'imposer davantage ? La grande expérience d'Edouard Philippe, en dehors d'avoir été le fidèle collaborateur d'Alain Juppé, c'est celle d’un élu local, maire et député du Havre. Une expérience qui fait défaut au président. Pourquoi Edouard Philippe n'a-t-il pas été capable de sentir, mieux, de prévenir la fronde des élus locaux, fronde spectaculaire qui aujourd'hui menace le dialogue entre le pouvoir exécutif et les territoires ? D'accord pour sortir des vieux schémas rabâchés de la Vème, Premier ministre paratonnerre ou fusible pour le président, mais il ne peut se résoudre pour autant à n'être que son vassal.
"Lui c'est lui, moi c'est moi". Dans L'enfer de Matignon, Laurent Fabius confie à Raphaelle Bacqué que tout juste nommé Premier ministre, il doit affronter L'heure de vérité de François-Henri de Virieu. Il sait que dans l'opinion publique, il garde l'image d'un "directeur de cabinet" de François Mitterrand, et que forcément, la question de son autonomie vis-à-vis du président va lui être posée. Ils mettent tous les deux au point la formule "Lui c'est lui, moi c'est moi". Elle était censée marquer le partage des rôles, elle servira plus tard à dire la distance des deux hommes. Mais ce matin, c'est bien ce qu'on attend d'Edouard Philippe. Qu'il dise "moi c'est moi", quelle est sa place, et à quoi il sert dans le couple qu'il forme avec le président.