Hélène Jouan revient sur la loi asile et immigration, ou le remake du film « On achève bien les chevaux ».
Adoption cette nuit du projet de loi Asile/Immigration après plus de 60 heures de débats . Ca valait ça Hélène ?
Vous vous souvenez du film de Sidney Pollack « On achève bien les chevaux » ? Ces pauvres hères de la grande Dépression américaine dansant des heures durant, à bout de force, pour l’obole de quelques repas gratuits ou le rêve d’un misérable jackpot? 7 jours de discussion, 999 amendements débattus, 6 soirées consécutives et quelques nuits, on n’avait pas vu un tel marathon parlementaire depuis la loi sur le mariage pour tous, votée il y a tout juste 5 ans, ou la loi Macron de 2015 et 400 heures de débats. A 23h hier, après quelques coups de colère, invectives et effets de manche, les députés ressemblaient aux danseurs épuisés de Pollack. Sans repas gratuit à la fin
Mais au final, un projet de loi qui a été adopté…
Evidemment. La majorité présidentielle est trop large pour que le moindre doute ait été entretenu. Mais qu’ont révélé ces danseurs de marathon ? D’abord que les oppositions ont repris du poil de la bête. Il faut dire qu’en matière de procédure parlementaire, rien ne vaut quelques madrés de l’ancien monde. Les Républicains tout particulièrement ont usé et abusé de tout ce qui leur était permis pour dénoncer cette loi « immigrationniste », demande de scrutin public, rappel au règlement, temps de parole de 2 minutes par amendement, ils ne se sont privés de rien, ont parlé autant que tous les autres groupes réunis. Et on les a entendus, à l’unisson cette fois de leur chef Laurent Wauquiez qui avait donné le La en début de semaine. Même Marine le Pen a enfin compris quelle tribune lui était offerte, usant et de l’hémicycle, et des abords du palais Bourbon avec sa manif anti immigration. Pas question de se faire damer le pion sur SON sujet, elle a fait ce qu’elle sait faire le mieux : semer la pagaille, votant une fois les amendements les plus restrictifs de la majorité, s’attirant les cris d’orfraie de la gauche, soutenant d’autres fois ceux des républicains en se gaussant de les voir sensiblement se rapprocher d’elle. Socialistes, Insoumis et communistes ont, eux, évidemment soutenu la thèse inverse d’une « loi inhumaine », mais pour la première fois, par leur front commun, on s’est dit qu’ils avaient quelque chose à faire ensemble.
Et qu’a-t-on appris de la majorité ?
Ce texte était fait pour éprouver sa solidité : réussi, 1 seul vote contre au sein de la République en marche, mais test raté si on jauge sa capacité à assumer sa diversité. La règle comminatoire édictée par le président de groupe, « abstention péché véniel, vote contre, péché mortel » a eu son petit effet, 14 abstentions, et un seul assouplissement concédé par Emmanuel Macron en personne, sur le délit de solidarité. Fronder est impensable en Macronie, gronder, inconvenant. Mais l’impression qu’il en reste, c’est que le gouvernement a échoué cette fois à imposer sa stratégie du « juste milieu ». Il a joué le caporalisme avec sa majorité. C’est le plus efficace, pas le plus convaincant