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Raphaël Enthoven revient sur une phrase de Laurent Cabrol, "Le printemps, c'est l'été en hiver". 

"Le printemps, c'est l'été en hiver" nous disait hier Laurent Cabrol, pour saluer d'un bon mot l'arrivée de la "demi-saison".  "L'été en hiver." Une phrase dont la profondeur ne vous laisse pas indifférent.

Oui, parce qu'il y a 2 façons de l'entendre. Parler du printemps comme de "l'été en hiver", c'est dire que le printemps, cette demi-saison, est à mi-chemin de la glace et de la profusion, que c'est un intervalle entre le givre et l'abondance. Le printemps, comme l'automne, est un hiatus, un entre-deux, qui nous achemine vers l'été à mesure qu'il se dépouille des frimas.

Et quelle est l'autre façon de comprendre cette expression ?

Il faut tendre l'oreille pour ça. "Le printemps, c'est l'été en hiver". "L'été" n'est pas seulement une saison. C'est aussi le participe passé du verbe être. L'été, c'est l'être-été. L'été, c'est l'expérience d'avoir été et de ne plus être. Et quand on entend ça, la phrase prend une autre dimension : Le printemps n'est plus seulement le chemin qui conduit de la glace de l'hiver à la grâce de l'été, mais l'expérience simultanée de la mort et de la vie.

Donc, à sa manière, le printemps est une sorte de tragédie ?

Le printemps est une déchirure, une béance qui se creuse avec le temps.

L'automne a ceci de réconfortant qu'il est en phase avec le rythme de la vie. L'automne se dirige vers l'hiver, et nous en sommes tous là. C'est pour ça qu'à l'automne, souvent, les douleurs sont sereines, la langueur est pacifique. Le crépuscule est doux. Les feuilles jaunies sont le drapeau blanc de l'existence. Elles tombent comme un armistice.

Alors que le printemps, cet enfoiré, est un adolescent priapique dont la vigueur excite la mémoire et nous rend jaloux. L'éternel retour des saisons donne précisément à sentir ce qui, dans la vie, ne revient pas, "Le printemps, c'est l'été en hiver". Autrement dit, chaque année, le printemps ressuscite et moi je décline. Les feuilles repoussent. Pas les cheveux.

C'est pour ça que, paradoxalement, alors que l'automne rend serein, l'arrivée du printemps rend parfois mélancolique ?

Bien sûr ! Mais c'est aussi pour ça que le printemps résonne comme un appel à nos oreilles.

"L'été en hiver" sonne aussi comme une mise en garde : ce n'est pas parce qu' on doit mourir qu'il faut mourir de son vivant. La certitude de la mort ne contient aucune raison de baisser les bras. Avec ses tapis de fleurs et ses papillons d'une journée, le printemps nous fait aussi le cadeau de nous montrer ce qu'on rate quand on se complique la vie. Le printemps, ses sautes d'humeur et ses résurrections, nous dit sur tous les tons qu'on ne vit qu'une fois. Et la trouvaille d'un fruit à saisir, ou le délice de boire quand on a soif, bref, tout ce qui ne dure pas (c'est-à-dire tout ce qui existe) a toujours, pour ceux qui savent en jouir, la valeur d'une aurore, ou la saveur d'un printemps. "Le précaire est précieux" dit Vladimir Jankélévitch, "ne ratez pas votre matinée de printemps" ! Car l'avenir n'existe pas. La mort non plus. Mais le temps passe. Et on meurt quand même.