Antonin André et Axel de Tarlé font le point sur l'actualité du jour.
Axel de Tarlé, expert économie
Le PDG de Total, Patrick Pouyané, menace de ne plus investir dans ses cinq raffineries françaises suite aux blocages de celles-ci.
C'est du chantage ?
Ça y ressemble effectivement, simplement, pour rappel, le métier du raffinage est un métier structurellement déficitaire. Total a perdu jusqu'à 500 millions d'euros en 2013 avec ses cinq raffineries parce que l'on consomme de moins moins de carburant. Il y a trop de raffineries. D'ailleurs, il y en avait 12, il n'y en a plus que huit aujourd'hui.
Sauf que Total qui gagne des milliards a décidé de maintenir ses raffineries sous la pression politique et de l'opinion publique et donc, pour réduire les pertes, Total a décidé d'investir deux milliards sur cinq ans pour les moderniser. En l’occurrence, 200 Millions dans la raffinerie de la Mède dans les Bouches du Rhone ou encore 500 millions à Donges, en Loire Atlantique.
L'objectif est de faire en sorte que le raffinage ne perde plus d'argent et soit une activité durablement rentable. Suite à ces mouvements, le PDG de Total a lancé hier "nous allons regarder, notamment à Donges, si nous devons effectivement investir 500 millions".
Est-ce ça veut dire que le patron de Total profite de ces évènements pour nous annoncer des fermetures de raffineries ?
Non, il y a un calcul économique. Une semaine de grèves dans les cinq raffineries Total coûte entre 40 et 45 millions d'euros. 40 millions de pertes dans une activité comme le raffinage qui est à peine rentable.
Vous voyez comment ces arrêts de production mettent en péril la fragile équation économique du raffinage en France. "Pour survivre, les sites doivent absolument être fiables" explique Patrick Pouyanné.
"Le pacte entre les salariés et l'entreprise est rompu" dit-il. "Nous devons tirer les leçons de ce qui se passe".
Le patron de Total doit arbitrer entre deux pressions : celle des politiques qui lui disent de maintenir les raffineries en France, et celle de ses actionnaires (majoritairement étranger) qui lui interdisent d'investir dans des activités dont on n'est pas sûr qu'elles soient structurellement rentables. Derrière ce qui ressemble à un chantage, vous avez donc un raisonnement économique argumenté.
Antonin André, expert politique
Le conflit social se durcit : la CGT continue d’étendre les blocages de raffineries, de dépôts et de terminaux pétroliers tandis qu'en face, l’exécutif ne veut rien lâcher, le président de la République est droit dans ses bottes.
"Il n’est pas question de retirer la loi El Khomri" voilà ce que dit le président de la République en privé. Non seulement le retrait est exclu mais le texte ne sera pas modifié : en clair pas question de revenir sur le fameux article 2 qui prévoit que les accords d’entreprise prévalent sur les accords de branches. Il n'est donc pas question de bouger.
Deux raisons à cette fermeté : La première est politique, si le gouvernement recule, cela veut dire que désormais en France un syndicat peut casser une loi en fermant les robinets de carburants parce qu’il la juge mauvaise et rouvrir le robinet quand il la trouve bonne. On va tenir, conclut le président.
Deuxième raison de cette fermeté, l’Élysée juge que la CGT instrumentalise la loi El-Khomri mais que les colères qu’elle agite sont sans rapport avec le texte. Les raffineries ont peur pour leur avenir, il y en avait 12 en France en 2010 et il n'en reste aujourd'hui que huit. Celle de Donge, en pointe dans la mobilisation, est menacée à moyen terme. A la RATP, l’enjeu ce sont des hausses de salaires qui n'ont donc rien à voir avec la loi El Khomri. A la SNCF, les cheminots sont d’avantage inquiets de l’ouverture du rail à la concurrence et concentrés sur leur hausse de salaires que concernés par la loi Travail.
Est-ce que ça veut dire que l’épreuve de force va se poursuivre, qu'elle va se durcir ? L’Élysée assume-t-il le risque du blocage ?
L’épreuve de force oui le blocage non. "Le droit de grève est reconnu constitutionnellement, le droit de bloquer l’économie non". Voilà ce que dit le président en privé. Vu de l’Élysée à l’heure où nous parlons il n’y a pas de pénurie d’essence affirme-t-on et il n’y en aura pas : les stocks disponibles sont loin d’être épuisés. L’exécutif ajoute qu’il ne laissera pas la CGT paralyser le pays, les évacuations dès qu’elles seront jugées nécessaires seront déclenchées.
Le problème c’est que l’épreuve de force va durer : grève à la SNCF aujourd’hui, journée de mobilisation demain, 1er juin re-grève à la SNCF, 2 juin à la RATP, 3 juin les aéroports, 14 juin, nouvel appel de l’intersyndicale à la mobilisation nationale. L’épreuve de force va durer y compris pendant l’Euro 2013. Il n’y aura pas de répit jusqu’au retour de la loi El Khomri à l’Assemblée en deuxième lecture. Ça va durer et ça va être dur. Le Président espère, in fine, en tirer un bénéfice politique : la seule question désormais résume François Hollande c’est de savoir si l’État, si le gouvernement tient, c’est le seul enjeu. En d’autres termes, il ne peut plus reculer.