Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
"Drôle de semaine Sainte aurait peut-être dit le regretté et facétieux Jean-Pierre Mocky en cet étrange dimanche des rameaux. Mais qui aurait pu imaginer un jour un sanctuaire de Lourdes totalement déserté de ses pèlerins, victime de l’apparition d’un mystérieux virus.
Même dans leur plus fertile imagination, ni Nani Moretti ni les créateurs de "The Young pope" n’auraient osé nous offrir cette image hallucinante d’un Pape seul priant pour le monde devant une basilique Saint-Pierre désertée de ses fidèles. Un mystérieux virus a dicté la Loi.
Il semble bien loin ce temps où à l’aube du premier millénaire, lorsque l’épidémie du mal des ardents décimait les campagnes, on exhumait des églises les reliques des Saints en quête d’une impuissante parade à ce qui s’apparentait alors à une colère divine.
Sur son blog, le penseur Jacques Attali nous rappelle que l’une des grandes leçons de l’épidémie de peste noire du 14ème siècle fut la perte du pouvoir politique de l’Eglise, à la sortie du Moyen-Âge, et l’apparition des premières polices devenant la seule force susceptible de protéger la vie des citoyens.
Un millénaire plus tard, les forces obscures ont bien tenté de résister. L’ayatollah de Qom en Iran refusa au mois de février, alors que le virus se rependait déjà, d’interrompre son culte et les rassemblements dans sa ville, qualifiant son sanctuaire de "maison de la guérison". On dénombre aujourd’hui 3.600 morts du Covid19 en Iran.
Les rabbins de Bnei-Brak, ville ultra- orthodoxe de 200.000 habitants dans la banlieue de Tel Aviv ont obligé l’armée israélienne à se déployer dans les rues parce qu’ils refusent de quitter leurs synagogues et de se soumettre à d’autres ordres que ceux de Dieu. La moitié des personnes hospitalisées aujourd’hui en Israël pour Covid 19 sont issues des communautés ultra-orthodoxes qui ne représentent que 10% de la population du pays.
Terrassées par la terrible réalité sanitaire, qui oblige même Donald Trump ou Jair Bolsonaro flattant leur électorat évangélique à se soumettre à l’indispensable confinement, les forces obscures ne résisteront pas plus aujourd’hui au Covid19 qu’à la peste noire du Moyen-Âge.
Et pourtant, le message que nous véhicule cet étrange virus ébranle aussi notre foi contemporaine, cette croyance absolue dans le monde du progrès, de la science, de l’innovation et des échanges, le bonheur indiscutable il y a encore quelques semaines du mondialisme triomphant.
Jamais peut-être n’avons-nous eu autant besoin de nous accrocher à de nouvelles croyances, d’explorer les voies d’une nouvelle confiance, jamais peut-être n’avons-nous eu en ces temps de confinement le temps de nous poser autant de questions et de réfléchir sur nous-mêmes, comme en témoigne le foisonnement des sites de méditation et de partage d’opinions sur l’ensemble des réseaux sociaux.
Comme en témoignent aussi ces numéros verts que tous les cultes ont mis à disposition de leurs fidèles, déboussolés, en mal de repères, mais dans une quête indispensable de sens.
Oui, drôle de semaine Sainte, drôle de jeûne de Ramadan qui se profilent dans quelques jours, drôle de Pessah, dans des lieux de culte aussi désertés que nos âmes semblent aujourd’hui habitées, en quête de réponse, de nouvelles certitudes et d’un autre monde.
Ce nouveau monde de l’après coronavirus dont on dessine déjà les contours, celui d’une nécessaire nouvelle pratique politique, d’un indispensable nouveau partage des richesses, d’un incontournable nouveau mode de production n’existera pas non plus sans une nouvelle forme de spiritualité. Comme s’il était temps aussi d’écrire ensemble notre nouveau testament."