Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
C’est un vieux monsieur, c’est ainsi qu’elle le qualifie.Il a 84 ans. C’est une jeune femme, elle 30 ans. Il dit : "elle me diffame. Elle m’injurie. Elle me traite de menteur". Elle répond : "je dis l’exacte vérité. J’aurais accepté des excuses. Au lieu de cela, il m’insulte et me traite de menteuse". Deux élèves devant le maître après la récré ? Deux employés devant la DRH après le café ? Non, 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris. Le vieux Monsieur est avocat. La jeune femme est écrivaine. Il s’appelle Pierre Joxe, elle s’appelle Alexandra Besson.
Neuf ans en arrière, l’opéra Bastille. Représentation de L’or du Rhin de Wagner. Le rang 15, celui réservé aux gens importants Alexandra Besson a 26 ans, elle est fille de ministre, Eric Besson. Son voisin, accompagné de sa femme - elle ne le reconnaîtra pas sur le coup - est un ancien ministre. Sur son blog, l’écrivaine Alexandra Besson raconte : "sa main effleure ma jambe, je pense qu’il cherche l’accoudoir, il insiste, des pressions de plus en plus fortes sur ma cuisse, jusqu’à l’entrejambe. J’irai jusqu’à griffer cette main pour l’éloigner".
Bouleversée, la jeune femme raconte tout à son papa qui vient la chercher à la fin de la représentation. Il la pousse à porter plainte. Mais voilà, lui est ministre en exercice, elle étudiante à l’Ecole Normale Supérieure. Mieux vaut se taire. 7 ans de silence, jusqu’à la vague #MeToo qui soudain submerge la toile. Impossible de ne pas être solidaire, de celles qui se dévoilent pour exprimer leur vérité. Alors Alexandra raconte.
Le vieux Monsieur, lui, ne comprend pas. Il évoque une affabulation totale, un terrible mensonge diffamatoire, il saisit la justice.
Vous pourrez lire dans le journal Le Monde de mercredi dernier le compte rendu d’audience signé de l’excellente chroniqueuse judiciaire Pascale Robert-Diard. Lui tout en dignité atteinte, lui l’ancien Président du Conseil d’Etat, ancien membre du Conseil constitutionnel, lui "l’icône de la République" comme dira son avocat, arque-bouté sur ses dénégations. Elle, en face, arque-boutée sur son récit, soutenue par sa famille, présente dans la salle du tribunal. "Oui la présomption d’innocence existe, mais pourquoi ne pas tenir compte de la présomption de vérité quand quelqu’un décide de témoigner".
Les images qui reviennent
Sentiment de trouble profond qui se dégage de ce face à face. Comme s’il ne pouvait y avoir de vérité grise. Oui dans cette affaire ou c’est noir ou c’est tout blanc. L’un des deux ment. Le trouble aussi parce que forcément des images resurgissent, lorsque le mensonge s’installe.
L’image d’un autre vieux Monsieur qui sort en larmes de prison, après avoir été injustement condamné pour agression sexuelle par son petit-fils, lequel finira par admettre qu’il a tout inventé devant les policiers et les juges. Le Maire de Vence, Christian Iacono qui en fera un livre, Le mensonge, et que France 2 adaptera avec Daniel Auteuil dans le rôle-titre.
Même trouble quand resurgit du passé cette autre image, lorsque le mensonge là encore s’installe. Le ministre Cahuzac, enfermé jusqu’au plus profond de lui-même, dans le déni, refusant de tomber de son piédestal de tout puissant.
"Un tel procès n’aurait sans doute jamais eu lieu il y a 3 ans"
Seule certitude, un tel procès n’aurait sans doute jamais eu lieu il y a 3 ans, avant la vague #MeToo. Et cette autre sensation étrange qu’entre le vieux monsieur et la jeune femme dans le tribunal, c’est un peu l’affrontement de l’ancien et le nouveau monde qui se joue.
Le nouveau monde, de cette parole libérée, qui ébranle les pouvoirs et les certitudes séculaires, cette nouvelle parole qui cette semaine fera tomber de son trône l’intouchable fils d’une reine d’Angleterre.
L’ancien monde qui tente de résister quand cette toile universelle se mue en tribunal permanent, aussi prompte à adouber qu’à condamner sans le moindre contrôle ni recul, faisant émerger dans le débat de nouvelles et aussi pathétiques figures de procureurs que celle de Monsieur Finkielkraut.
Aussi troublante que fut l’audience de lundi dernier devant cette 17ème chambre, il y aurait presque quelque chose de rassurant et de réconfortant,qu’entre le vieux Monsieur et la jeune femme ce soit un juge, un vrai, qui arbitre. Un juge qui s’est donné 2 mois de réflexion. Ça les vaut, sans aucun doute, quand au-delà des faits rien que des faits il s’agit aussi de sonder les tréfonds de l’âme humaine.