Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.
"Les enfants ont droit à l’amour. Pas à ce qu’on le leur fasse".Ces quelques mots, c’est Jean Pierre Rosenzweig qui les formule, lui l’ancien Président du Tribunal pour enfants de Bobigny, lui le pionnier de la défense du droit des enfants dans notre monde, lui qui prêchait bien seul dans le désert des années 80 lorsqu’il militait pour qu’un enfant soit reconnu comme une personne, qu’il soit protégé dans un temps où l’on préférait fermer les yeux sur la diversité, la quantité et l’acuité des violences que subissaient déjà nos enfants.
C’était le temps de de la liberté, c’était le temps de l’interdit d’interdire, c’était le temps post soixante hui tard de l’amour libre, c’était le temps de l’amour entre personnes du même sexe, c’était le temps du sexe hors mariage, c’était le temps où l’on revendiquait et célébrait enfin le droit de faire ce qu’on voulait avec son corps après tant d’années de contraintes inscrites dans l’oppressant carcan de la famille. C’était le temps où 69 intellectuels aux côtés de Gabriel Matzneff et de Guy Hockenghem, fondateur de "front homosexuel d’action révolutionnaire", cosignaient dans Le Monde un appel exigeant la libération de 3 hommes incarcérés depuis 3 ans pour agressions sur mineurs de moins de 15 ans.
Nous étions le 26 Janvier 1977. Les signataires avaient pour nom : Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, Philippe Sollers, Jack Lang, Bernard Kouchner, Aragon, Patrice Chéreau. Tous criaient alors à l’injustice. "Quelques caresses et quelques baisers ne méritent pas la prison pouvait-on lire dans ce texte. Les enfants ne sont pas des victimes. Ils sont consentants".
Le consentement, oui le mot est lâché, et c’est bien le cœur du problème et c’est le titre précisément du livre signée de Vanessa Springora t qui est sorti cette semaine sur les étals de nos librairies. Vanessa Springora qui s’interroge : "comment admettre qu’on a été abusée quand on a ressenti du désir pour un adulte qui s’est empressé d’en profiter". Vanessa Springora qui éprouve le besoin de l’écrire 40 ans après parce qu’elle n’a d’autre choix que de vivre, depuis, avec cette insupportable blessure et tenter d’expliquer 40 ans plus tard que… non, définitivement non… le rapport entre un mineur forcément fragile un adulte forcément dominateur dans le grand jeu de la séduction et du désir ne sera jamais un rapport d’égalité. Et que celui qu’y s’y brûle les ailes c’est toujours l’enfant.
Il serait temps enfin que le DROIT le reconnaisse et l’écrive dans ses tables en lettres d’or. Qu’on comprenne qu’on ne parle plus aujourd’hui avec une certaine complaisance, voire dangereuse fascination de pédophile (celui qui aime les enfants) mais bel et bien de pédo criminel (celui qui fait du mal aux enfants) et que de tels faits, même si l’on est doucement passé de la terminologie "d’attentat à la pudeur sur mineur", à celle d’agressions sexuelles ne sont plus de simples délits mais bel et bien de crimes condamnables non plus seulement devant un tribunal correctionnel mais devant cour d’Assises, passibles non plus seulement d’une condamnation à 7 ans mais à 12 ans de prison.
Et un jour prochain forcément le droit devra s’adapter à cette évolution du monde. Parce qu’une chose, fondamentale change la donne en 2019 40 ans après l’expression de cette liberté triomphante, aussi insouciante qu’inconséquente des seventies : la parole des victimes.
Celle de Adèle Haenel hier, celle de Denise Bombardier journaliste et écrivaine canadienne avant hier, alors si seule face à l’arrogance triomphante des Matznef et autres intellectuels dominants de la pensée sur les plateaux d’un Bernard Pivot, lui si consentant, la parole de Vanessa Springora aujourd’hui. Une parole d’autant plus courageuse et précieuse qu’elle émane du même monde, celui dit des intellectuels, une parole qui trente ans plus tard a soudain beaucoup plus de poids dans le débat que celle d’une poignée de militants isolés et minoritaires au milieu des années 80 comme le fut Jean Pierre Rosenzweick .
Et même avec cette parole là le combat est loin d’avoir gagné s quand on voit deux anciens Ministres de la Culture Aurélie Filipetti et Fréderic Mitterrand venir défendre roman Polanski le créateur en oubliant l’homme sa part d’ombre et surtout ses victimes. Mais elle gagne du terrain aussi à l’image d’un Daniel Cohn Bendit exprimant maladroitement au milieu des années70 sa fascination pour ces êtres de chair et de sexe que sont les enfants tels que François Dolto venait de le théoriser avant 30 ans plus tard de découvrir tout ce qu’une frontière trop poreuse e fascination et un passage à l’acte pouvait avoir de destructeur dans l’équilibre d’un enfant.
Ce n’est pas un hasard si au même moment une autre parole se libère : celle des victimes d’une autre institution enfermée pendant tant de temps dans le secret et l’abus de son pouvoir : l’Eglise.
ET ce n’est pas un hasard si au même moment une autre parole qui se libère également : celle des femmes, de toutes les femmes victimes, trop silencieuses, trop longtemps agrégée autour d’un petit sigle » me TOO » venant bousculer une autre hiérarchie si solidement établie celle du mâle dominant. Bien sûr il faudra du temps pour prendre en compte les grands oubliés de cette histoire : les enfants. Mais après tout… 40 ans au regard de l’histoire c’est bien peu, même si c’est aussi immensément long au regard des inconsolables blessures des victimes.
1789 : déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen.
1946 : droit de vote des femmes
Il aura fallu attendre 157 ans pour comprendre que dans Droits de l’Homme et du citoyen il y avait femme. Et qui se souvient de la déclaration du droit des femmes signée de Olympe de Gouges en 1791 alors que’n 2019 86% des femmes de 18 à 75 ans dans notre pays se déclaraient avoir été un jour victime de harcèlement ou d’agression sexuelle dans leur vie.
Combien de temps aussi pour comprendre que dans Droits de l’homme et du citoyen il y a aussi enfants ????? et qu’on estime (chiffre sous-estimé) que 130.000 petites filles et 35.000 petits garçons dans notre pays sont chaque année victimes d’agressions sexuelles. Certains évoqueront peut-être un dangereux retour à "l’ordre moral, au puritanisme". Mais seront-ils entendus quand il s’agit de défendre NOS enfants. D’autres, en profiteront peut-être pour politiquement brouiller les consciences alors que s’engage un grand débat sur le modèle familial à l’heure des progrès de la science. Mais que vaudra leur parole face à celle des victimes ?
Car finalement cette prise de parole des enfants- victimes ne nous rappelle qu’une chose, fondamentale pour le bien vivre ensemble : qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité, qu’il n’ y a pas de combat plus fondamental pour la défense des libertés précisément qu’une définition juridique claire des responsabilités… et que, oui, ce sera toujours à l’adulte d’être responsable devant l’enfant. En attendant que le droit s’adapte à notre temps et bien prenons du temps, justement de nous plonger dans la lecture "du droit des enfants pour les nuls" que Jean-Pierre Rosenzweig vient d’opportunément publier chez First Edition.
Oui, le droit des enfants pour nous qui avons été collectivement si nuls pendant tant de temps. Pour ne plus laisser voler au-dessus de nos têtes avec tant d’impunité les grands prédateurs de l’enfance.