Chaque dimanche, l’historien Bernard Fripiat revient sur l'origine d’un mot qui a été au cœur de l’actualité de la semaine.
Bonjour Bernard, en cette période troublée, vous avez choisi le verbe compter !
En effet, les différents discours que nous entendons peuvent se résumer ainsi : je compte. Les gilets jaunes comptent pour savoir ce que rapporteront les concessions présidentielles. Le gouvernement compte le prix de ces concessions. Le patronat compte le prix des primes. Finalement, tout le monde compte.
D’où vient ce mot ?
Du latin computare qui signifiait calculer. Les troubadours l’écrivent c/o/n/t/e/r. À côté de l’idée d’additionner, ce conter va avoir une évolution particulièrement originale. Synonyme d’additionner, compter consiste à énumérer des chiffres. De énumérer des chiffres à énumérer des faits, il n’y a qu’un pas que nos troubadours franchissent allègrement. À force d’énumérer des faits, on finit par les raconter. Voilà pourquoi quand un troubadour disait je conte (c/o/n/t/e), cela voulait dire j’additionne ou je vous conte une histoire. Il fallait deviner selon le contexte.
Aujourd’hui, nous avons deux orthographes différentes et les gosses se trompent. La faute à qui ?
Aux juristes de Saint-Louis qui, au 13ème siècle, estiment que la nécessite de deviner le sens est une perte d’un temps inutile. Aussi décident-ils de distinguer les deux mots. Ils gardent l’orthographe des troubadours dans le sens de conter une histoire et repartent du latin computare pour orthographier compter dans le sens d’additionner. À leurs yeux, plus un mot se rapproche de l’orthographe latine, plus il a de valeur. Visiblement, ils préféraient calculer que conter fleurette.
Dès lors comment expliquez-vous l’orthographe d’une comptine pour enfant ?
Normalement, nous devrions l’écrire c/o/n/t/i/n/e, vu qu’elle se rapproche davantage de l’art des troubadours que de l’activité de comptable. Ce mot date de 1922. Il décrivait un jeu qui invitait les enfants à compter les syllabes d’un texte en rimes, d’où le terme comptine. Puisqu’ils comptaient les syllabes. Ce sens disparaît avec le jeu et comptine reste pour décrire une poésie courte, rythmée et naïve. Naturellement, nous garderons l’ancienne orthographe en souvenir des gosses obligés de compter les rimes et parce que l’orthographe adore les paradoxes.
Moralité ?
Visiblement, l’être humain aime compter. Néanmoins, dans ses calculs, il devrait songer qu’un jour la nature risque de lui demander des comptes