Chaque matin, Nicolas Beytout a carte blanche pour nous éclairer sur un sujet qui l'a marqué dans l'actualité.
Nicolas Beytout remplace Jean-Michel Aphatie du lundi 25 février au vendredi 1er mars 2019.
Le Sénat s’apprête à voter la loi anti-casseurs qui avait été adoptée par l’Assemblée nationale, et c’est un joli piège que les sénateurs tendent à Emmanuel Macron.
Pour bien comprendre tout le raffinement subtil de ce moment politique, il faut remonter quelques épisodes en arrière. Rappelez-vous, c’était début Janvier, l’acte 8 des Gilets jaunes avait donné lieu à de nouvelles violences dont une spectaculaire agression contre des policiers.
C’était celle du boxeur, Christophe Dettinger ?
Exactement. Ces images avaient mis sous pression le gouvernement : il fallait réagir. Pour aller vite, Édouard Philippe annonce que l’Assemblée nationale va se saisir en urgence d’un texte de loi anti-casseurs qui a déjà été voté par le Sénat. L’avantage c’est que l’on gagne du temps dans la navette, dans les allers et retours entre les deux Assemblées. On peut la voter vite. Ça c’est de la politique efficace. Sauf que, problème au Sénat, cette loi a été initiée et votée par l’opposition à Macron.
C’est-à-dire par les Républicains, qui sont majoritaires dans cette Chambre ?
C’est ça ! C’est un projet de Bruno Retailleau, le leader des Républicains au Sénat. Ça crée tout de suite beaucoup d’émotion chez En Marche. "Loi liberticide, politique répressive", les grands mots se mettent à voler bas, et ça tangue pas mal au cœur de la majorité d’Emmanuel Macron. Finalement, après de longs débats cette loi est un peu assouplie, et elle sera à son tour votée, début février. Mais mal. Il manquait les voix de 66 députés En Marche, 50 qui s’était bruyamment abstenus, et 16 qui devaient avoir piscine ce jour-là.
Mais c’est passé vaille que vaille, et maintenant le texte revient au Sénat ?
Voilà, mais 50 abstentions, c’est beaucoup et il fallait corriger ça. Le calcul du gouvernement était simple. Le Sénat (qui s’enivre en ce moment de son pouvoir avec l’affaire Benalla) ne pourra pas résister à l’envie de rétablir son texte d’origine. Lequel texte retournera ensuite une dernière fois à l’Assemblée nationale, puisque c’est la règle. Là, le gouvernement amendera comme il faut pour calmer la fronde de ses députés.
Et bien non : raté. Les sénateurs vont voter le texte sans en changer une seule virgule, dans les mêmes termes que l’Assemblée. Hop, la loi est votée.
Le gouvernement ne peut donc plus rattraper le coup avec ses députés abstentionnistes, avec ses frondeurs ?
Exactement, c’est le piège ! Cette fêlure politique restera au sein d’En Marche.
Au passage, le Sénat se donne le beau rôle en expliquant que sa priorité, c’est que la loi anti-casseurs soit vite applicable. Il se paie même le luxe de tordre un peu le nez en disant que l’Assemblée y a été un peu fort dans le genre répressif sur un article ou deux. Du grand art…
Vous vous souvenez de ce que disait Gilles Le Gendre, le patron des députés En Marche, à propos de la taxe carbone ? "Nous avons été trop intelligents, trop subtils". Là encore, ça saute aux yeux !
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