Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno. Emmanuel Macron va publier en début de semaine une tribune dans plusieurs journaux français et européens, apparemment pour lancer la campagne pour les élections au Parlement européen. Le vote aura lieu le 26 mai, est-ce que ce n’est pas une entrée en campagne un peu précoce ?
Incontestablement, c’est tôt. Ça l’est d’autant plus que le grand débat qu’Emmanuel Macron a lancé lui-même pour sortir de la crise des "gilets jaunes" n’est pas encore terminé – on a même l’impression qu’il aime tellement cet exercice qu’il ne voudrait pas que ça s’arrête. Le problème, c’est que cette confrontation directe avec les élus locaux et avec les citoyens, elle fait surgir pas mal d’idées, mais surtout beaucoup d’espoirs. Et si Emmanuel Macron passe sans transition du grand débat à la campagne des européennes, il y a un risque qu’un grand nombre des thèmes que les "gilets jaunes" ont mis en lumière – par exemple les inégalités territoriales, les difficultés d’accès à Internet, les services publics dans les zones rurales –, tout ça soit escamoté par les sujets européens et que ça génère beaucoup de frustrations.
Donc attention, une campagne peut en cacher une autre ; mais une campagne peut aussi en gâcher une autre.
Ce qui a le mérite de la clarté, c’est que le Président de la République va prendre lui-même la tête de cette campagne. Pour vous, c’est une bonne chose ?
Je crois que de toute façon, le temps n’est plus aux présidents olympiens, qui faisaient mine de suivre d’en haut les débats électoraux. Et il faut bien dire que si le résultat de la REM est médiocre, c’est d’abord Emmanuel Macron qui va en pâtir – donc on peut comprendre qu’il ait envie de s’en occuper. Le fait est aussi que la REM est le dernier parti à ne pas avoir choisi sa tête de liste – Agnès Buzyn a vraiment l’air de tenir la corde, mais il n’y a encore rien d’annoncé. Et puis ce qui se passe aussi, c’est qu’Emmanuel Macron doit éprouver à la fois une inquiétude et un espoir.
L’inquiétude, c’est que les enjeux européens soient confisqués par ceux qui sont les plus critiques, c’est-à-dire les nationalistes, les anti-européens. Et l’espoir, c’est que comme il a retrouvé une dynamique avec le grand débat, il doit vouloir en profiter pour donner de l’élan à son camp et faire progresser les idées pro-européennes. C’est du bonapartisme électoral : il voit une ouverture, il fonce.
Il y a déjà eu des critiques sur le fait qu’avec le grand débat, Emmanuel Macron utilise du temps d’antenne dans les médias et les ressources de l’Etat pour faire campagne. S’il se lance dans la bataille des européennes, est-ce que ça ne donne pas plus de force à ce reproche ?
Si, c’est vrai, le risque d’aggraver la confusion existe. J’ai envie de dire qu’il est un peu inévitable, parce qu’un président est presque tout le temps en campagne – d’ailleurs il faut être honnête, il est observé et critiqué comme s’il l’était. Moi je trouve que la vigilance s’impose sur le financement de ses déplacements et de ses réunions, qui ressemblent vraiment à des meetings – l’opposition n’a pas tort sur ce point. Et la loi dit que le contrôle des dépenses électorales s’exerce un an avant le scrutin, donc on y est largement. En revanche, la question du temps de parole relève du mauvais procès puisque, quand la campagne officielle va commencer, la règle impose l’équilibre : plus le président va parler, plus ses opposants auront droit à la parole.
Au moins, on ne pourra pas dire qu’on n’aura pas assez parlé de l’Europe. Mais en réalité, l’essentiel n’est pas là : pour Emmanuel Macron comme pour les autres, la question n’est pas de savoir s’il faut se retenir de parler ; c’est plutôt de savoir si, quand ils ont parlé, il y a quelque chose à… retenir. Ce n’est pas toujours le cas.