Marc Messier brosse ce dimanche le portrait d'un bout de cuir qui met les riches et les pauvres au même niveau, l'histoire d'un ballon, l'histoire d'un rêve.
C’est dans la Chambre d’une Reine que l’on a découvert le plus ancien ballon de football du monde. Un ballon rond constitué de bandes de tissus et de lanières de cuir, cousues les unes entre elles. Un ballon fait pour taper dedans avec les pieds. Un ballon vieux de près de 5 siècles, qui était caché dans les poutres du plafond d’une chambre royale du château de Stirling, l’ancienne capitale du Royaume d’Ecosse. La chambre d’enfant de Marie-Stuart, la souveraine Rousse et catholique, couronnée au berceau et décapitée une quarantaine d’années plus tard, sur ordre de sa cousine d’Elizabeth 1ère Angleterre. Marie Stuart, qui, avant de finir sur le billot, adorait, dit-on, lancer un ballon de sa fenêtre pour donner le coup d'envoi de matches entre ses soldats,10 de chaque côté. Un ballon au milieu. Des tournois acharnés sans goals et sans arbitres, qui duraient 2 heures et qui ne se disputaient qu’avec les pieds.
Le Football ne sera inventé que 3 siècles plus tard : en 1863, avec la création dans une taverne de Londres, de la première fédération anglaise et l’élaboration des premières règles, qui interdisent, notamment, les tacles et les baffes. Des parties de 90 minutes, avec un ballon qui a encore la forme d’un œuf. Un ovale, très rond tout cuir, imaginé par un petit cordonnier du Warwickshire du nom de William Gilbert. Un ballon bâtard, hybride, avec lequel on joue alors, dans les collèges, aussi bien au foot qu’au rugby, les noms et les contours de l’un et l’autre n’étant pas encore très clairs à l’époque.
Un ballon derrière lequel l’homme court depuis très longtemps : les Chinois les premiers, il y a près de 3.000 ans. Des armées entières d’attaquants sous la Dynastie des Han. Le Cuju, un exercice militaire qui consistait à envoyer une balle de cuir pleine de plumes et de poils dans un petit filet monté au sommet de longues tiges de bambou. Un exercice d’adresse, sans les mains, uniquement avec les pieds, la poitrine et les épaules. Le tout, avec un chignon au-dessus du crâne, en repoussant les assauts de ses adversaires. De la Chine ancienne à la Grèce Antique, des Mayas aux Aztèques, qui jouaient au "tlatchi", avec des pierres rondes, enrobées de caoutchouc. Le ballon, s’il n’a jamais cessé de rouler, a dû rebondir à un moment. Ses poursuivants devenant de plus en plus exigeants au fil des siècles.
Au Moyen-Age, on prendra des vessies pour des ballons. Des vessies de porc ou de mouton, bourrées de filasse, de son, de paille, de crin, de plumes, de sciure de bois ou de crottin séché. Des vessies que l’on gonflera ensuite d’air. Nous jouons avec une balle pleine de vent, écrira joliment un auteur anglais au 16ème siècle. Des parties endiablées de Calcio florentin ou de soule française, sous l’ancien régime. Les vessies éclateront souvent mais feront illusion longtemps. Le 19ème siècle sera celui de la révolution industrielle et de la révolution du ballon. L’américain Charles Goodyear invente la vulcanisation, en incorporant du souffre dans le caoutchouc pour le rendre plus résistant. Progressivement, sans que personne ne soit dupe, les vessies animales vont être remplacées par des vessies en latex et les premiers ballons utilisés en championnat, dès 1889, seront en cuir à lacet, une couture inachevée avec une valve rentrée à l’intérieur pour regonfler ou réparer la vessie crevée. La circonférence du ballon doit alors faire entre 68 centimètres et 71 centimètres.
Mais l'ennemi du cuir reste l’eau. L’eau qui alourdit et déforme le ballon à chaque fois qu’il pleut. On a beau l’enduire de paraffine ou de mine de plomb, et l’astiquer après le match, avec du saindoux et de la graisse de phoque. Le polyuréthane, la mousse et le PVC régleront le problème au tout début des années 70. Avec la disparition du cuir, le marron disparaîtra, laissant sa place au blanc. Des ballons tous blanc que l’on tatouera rapidement de marques et de logos, des ballons dont on passera les pentagones au noir, pour qu’ils puissent bien passer à la télé. Des ballons technologiques, loin, très loin du ballon de Marie Stuart, caché dans le plafond d’un vieux château écossais.