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SAISON 2020 - 2021, modifié à

SERIELAND ENTRETIEN - "L'Arabe du futur" sort tout juste son tome 5 en librairie, l'occasion de replonger avec Riad Sattouf, le créateur, sur l'ensemble de son œuvre. Ses bandes dessinées, films et séries ont toutes un point commun : un œil juste sur l'adolescence. Au détour de la promotion parisienne de sa nouvelle BD, Eva Roque reçoit Riad Sattouf pour un grand entretien estampillé SERIELAND.

C'est un fin connaisseur de l'adolescence, et un artiste complet. Dessinateur, auteur, feuilletoniste, cinéaste, Riad Sattouf est un amoureux de la culture sous toutes ses formes. Les Cahiers d'Esther en BD, et en série animée c'est lui. Le film Les Beaux gosses, c'est lui aussi. La web-série Mes Colocs c'est encore lui. 

Et puis, il y a L'Arabe du futur. Cette bande dessinée autobiographique au franc succès relate son enfance, en Libye puis en Syrie. Dans le cinquième volet qui vient de sortir aux éditions Allary, il évoque notamment ses années collèges, au début des années 90, cette fois en France, à Rennes. 

Dans toutes ses productions, Riad Sattouf raconte savoureusement l’enfance et l’adolescence. Une bonne raison pour l’accueillir dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font. Comment travaille-t-il ses personnages ? Pourquoi le thème de l'adolescence lui est-il si cher ? Souhaite-t-il adapter L’Arabe du futur en série ? Riad Sattouf vous dévoile tous ses secrets de fabrication.

(Transcription)

Extrait de la chanson Lithium de Nirvana

Riad Sattouf : Nirvana, bien sûr, avec Kurt Cobain. J'adore ce groupe. Je les ai vus en concert. Quand ils sont venus à Rennes, quelques semaines avant le suicide de Kurt Cobain. Il faut savoir que Nirvana a explosé internationalement à Rennes. Alors, vous allez rire, tout le monde rigole quand je dis ça parce que personne ne connaît l'histoire secrète de Nirvana. Mais il se trouve que Nirvana avait été invité au festival des Transmusicales. Ils sont devenus énormes en Europe après ce festival. Kurt Cobain a demandé dans sa tournée à repasser par Rennes lorsqu'il a fait la tournée du deuxième album, qui était juste avant son suicide. C'était vraiment un des plus grands groupes du monde à cette époque-là, donc il avait fait un concert à Rennes à cette occasion, j'y avais assisté. On peut le voir sur Internet. D'ailleurs, vous allez sur YouTube et vous vous tapez "Nirvana Live in Rennes" 

Eva Roque : Bonjour Riad Sattouf

Riad Sattouf : Bonjour ! 

Eva Roque : Merci infiniment d'avoir accepté ce grand entretien pour un nouvel épisode de SERIELAND. J'ai eu la chance de vous interviewer à plusieurs reprises, et je pense vous avoir déjà posé cette question : vous avez quel âge aujourd'hui ? 

Riad Sattouf : J'ai 42 ans.

Eva Roque : Et vous avez quel âge aujourd'hui ? 

Riad Sattouf : J'ai vraiment quarante-deux ans. Je n'ai pas de nostalgie mal placée. Ce qui est intéressant quand on a 15 ans ou quand on a 42 ans, c'est que le temps accélère de plus en plus vite... Je ne vais pas me lancer là-dedans, c'est un peu déprimant. Quand on écrit des histoires, on est toujours en lien avec son enfance et son adolescence. Je n'ai pas le sentiment qu'il y a eu des ruptures ou des chocs, sauf à l'adolescence. C'est vraiment l'adolescence où j'ai eu le sentiment de devenir une autre personne, pas forcément la personne que j'aurais souhaité être ou que je m'attendais à être. Mais depuis l'adolescence, ça a été une lente acceptation de qui je suis. 

Eva Roque : Vous pensiez être qui avant cette rupture ? 

Riad Sattouf : Je pensais que je n'avais jamais vraiment réfléchi à la question, comme quand j'étais enfant j'étais extrêmement beau et c'est ce que je raconte dans ma BD, je pensais que j'allais continuer à être beau. Comme j'étais blond quand j'étais petit, je m'imaginais assez bien devenir une sorte de Owen Wilson ultra musclé, un Schwarzenegger blond. Je n'avais pas capté qu'il fallait faire du sport. Je n'avais pas capté qu'on avait des prédispositions génétiques. Donc forcément, je me suis retrouvé avec le corps que j'avais. J'étais héritier de mes géniteurs et il a fallu faire avec. 

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Eva Roque : Il y avait des tas de raisons pour vous inviter dans ce podcast qui parle de séries. La principale étant que vous êtes sans doute, à mon sens, l'artiste qui évoque le mieux l'adolescence, et les ados sont des grands consommateurs de séries. Mais vous êtes aussi auteur de séries, finalement. Parce que vous avez fait cinq tomes pour L'Arabe du futur qui raconte votre adolescence. Cinq albums aussi pour Les Cahiers d'Esther, le quotidien d'une ado que vous avez adaptés en série animée pour Canal+, soit 159 épisodes à ce jour. Esther c'est elle. 

Extrait des cahiers d'Esther

Eva Roque : Est-ce que cette présentation d'Esther qui ouvre le premier épisode de cette série animée, vous l'avez conçue comme une première vignette de bande dessinée ? Est-ce qu'il y a une différence entre une première scène au cinéma quand vous faites Les beaux gosses et une première scène sur papier ? 

Riad Sattouf : Alors, cette première histoire, c'était en effet aussi la première histoire des Cahiers d'Esther, à la fois aussi en bande dessinée, et en dessin animé. Cette histoire contient à peu près les vraies informations que m'a dites la vraie Esther, parce que c'est une vraie jeune fille qui me raconte ses histoires. J'ai fait une vraie présentation des parents parce que les parents, je les connais. Mais par exemple, je lui avais demandé : "C'est quoi les gros mots que tu connais ?" Elle m'a regardé et m'a dit : "Merde, con, putain, ta gueule, ..." Alors ses parents étaient là : "Oh c'est quoi, ces gros mots ?" Je mets ça en scène comme ça. C'est une présentation qui est fidèle au jour où elle se présentait en tant que personnage à moi. 

Eva Roque : Et quand on regarde ce tome 5 de l'Arabe du futur, est-ce que la première planche qui apparaît quand on ouvre cet ouvrage, c'est la première que vous avez dessinée ?

Riad Sattouf : Oui, je fais tout dans l'ordre, je fais les belles pages dans l'ordre, scrupuleusement. Alors, il m'est arrivé une fois ou deux de sauter des pages, mais c'était très rare. Ce qui m'arrive, c'est d'écrire parfois la fin. Quand j'avais une première version au crayon qui est lisible comme une vraie bande dessinée, que je fais lire à mes lecteurs de confiance, j'avais commencé par écrire la fin. Je voulais avoir la fin en tête et y arriver ensuite. Finalement j'ai rechangé la fin quand j'y suis arrivé. Et quand je dessine mes pages à l'encre, je fais la page 1 et tout dans l'ordre. Comme un mulot qui grignote des noisettes, c'est case par case. Et toute la BD disparaît. 

Eva Roque : C'est qui vos lecteurs de confiance ? 

Riad Sattouf : Ce sont des amis à moi qui sont des auteurs de bande dessinée, des copains et copines, mon éditeur, bien sûr, mais même des gens qui n'ont rien à voir avec la bande dessinée. Ce sont des gens à qui je fais lire mon premier jet. Ils me disent s'il y a des choses qu’ils ne comprennent pas, ce qu'ils en pensent, etc. Je tiens toujours compte de leurs avis, d'ailleurs. 

Eva Roque : Est-ce que ça vous rassure de parler de l'adolescence ? Ça vous évite de grandir ? Et d'éviter les conneries des adultes ? 

Riad Sattouf : Non, pas forcément. Je ne réfléchis pas comme ça. C'est surtout que les livres s'imposent un peu d'eux-mêmes. Alors je dis souvent ça, mais je ne peux pas dire autre chose. Par exemple, j'adore la science-fiction, j'adore le surnaturel, le fantastique, etc. Mais les livres qui m'arrivent sont des livres d'observation des jeunes, souvent sur les ados. Il n'y a rien de science-fiction. Peut-être que je traite ces univers-là un petit peu de manière fantastique, surnaturelle, en imaginant que les ados sont des créatures venant d'une autre dimension. Mais je n’ai pas vraiment de maîtrise et de contrôle sur les livres que je vais faire. Ce qui est agréable aussi, parce que je me dis comme vous, que je ne contrôle pas tellement, je ne me fais pas tellement de souci pour me dire : "est-ce que je vais continuer à avoir de l'inspiration ou pas ?"

Eva Roque : J'ai un aveu à vous faire, d'ailleurs. Avant de vous connaître et avant de lire L'Arabe du futur, la première fois où j'ai vu ce titre L'Arabe du futur, j'ai vraiment pensé que vous aviez écrit un ouvrage de science-fiction et que c'était une bande dessinée qui parlait du futur, mais dans un sens fantastique. Après, on découvre la signification, évidemment en lisant la bande dessinée. Est-ce qu'il y avait une volonté de troubler un peu le lecteur ? 

Riad Sattouf : Peut-être, mais c'est vrai que moi mon mot préféré de la langue française, c'est le mot "futur". J'adore. J'aimerais bien le déposer rien que pour moi. Je trouve que "futur" contient tout ce qui est génial dans l'être humain parce que ça veut en même temps rien dire. C'est ce qui va arriver. Mais est-ce que ça existe vraiment ? Est ce qu'on ne vit pas toujours dans un instant présent qui change très peu ? Et en même temps, il y a eu toute une époque où le futur était quelque chose d'attendu. Je me rappelle quand j'étais enfant on attendait l'an 2000. Ça avait une vraie signification. On se disait qu'on aurait des voitures volantes, qu'il y aurait des robots. On avait des marqueurs comme ça qui nous disaient que le futur est en train d'arriver. Il y a eu les télévisions en couleurs. Après, il y avait des ordinateurs. Encore après, il y a eu des ordinateurs de plus en plus puissants. On se disait mais ça va forcément arriver un moment où il y aura des robots, etc. Là, depuis quelques années, depuis qu'Internet a pris le pouvoir partout, ce rêve du futur s'est un peu émoussé je trouve.

Eva Roque : Alors, vous me tendez une perche parce qu'on vient de parler du futur. Mais j'aimerais bien qu'on parle un tout petit peu du passé en vous faisant écouter cet extrait des Beaux gosses.

Extrait "Les beaux gosses"

Eva Roque : Vous êtes le réalisateur des Beaux gosses. Est-ce que vous êtes nostalgique et dépressif ? 

Riad Sattouf : Non pas du tout. J'avais même complètement oublié cette scène avec Noémie Lvovsky et Vincent Lacoste. Non, je ne suis pas nostalgique. Justement, en fait, je me suis rendu compte il n’y a pas très longtemps que j'avais passé plus de temps de vie en étant auteur de bande dessinée qu'en étant autre chose. En fait, c'est comme si je m'étais enfin rencontré. Alors, est-ce que c'est le moi d'aujourd'hui qui a effacé celui que j'étais avant ? Mais il se trouve que ma vie maintenant a été majoritairement “auteur de BD”. Et donc, je ne suis pas nostalgique d'avoir été autre chose tellement j'ai plutôt attendu de pouvoir faire des livres que je voulais. Je me suis vraiment battu pour avoir des éditeurs pour avoir le droit d'être publié. Donc, pour moi, le passé ne contient pas un paradis spécialement perdu. Alors bien sûr, quand je vois des photos, je me dis quand même je n'étais pas si moche quand j'étais ado, j'ai quand même raté des choses. J'aurais peut-être dû prendre des initiatives, tenter des trucs. Mais à quoi bon regretter ? Mais ça n'a aucun sens, surtout que ce passé existe dans la mémoire. Donc, on peut y retourner autant qu'on veut et jouer avec, le faire revivre. 

Eva Roque : Est-ce que vous savez quel est votre plus ancien souvenir ? 

Riad Sattouf : Je crois que c'est dans la poussette et je ne savais pas encore marcher. Il y a un boucher dans un magasin de boucherie qui m'a donné sa petite vache en plastique et je l'ai toujours. Je l'ai posée. C'était quand j'étais vraiment minuscule, je devais avoir sept mois, huit mois. C'était une époque où mes grands-parents habitaient dans une autre ville. Donc, j'ai habité avec eux dans cette ville jusqu'à l'âge d’un peu avant un an. J'ai cette petite vache en plastique qui est toujours sur mon bureau, qui fait une espèce de grimace. A chaque fois que je la vois, j'ose à peine la toucher parce que je me dis que si ça se trouve à l'époque, les normes de plastique n'étaient pas aussi draconiennes qu'aujourd'hui et elle est constituée de plastiques cancérigènes au dernier degré. 

Eva Roque : Mais est-ce que vous êtes sûr que de vraiment vous souvenir de ce moment ? Parce que moi, ça me parait vraiment très petit ? 

Riad Sattouf : Non, parce que je me rappelle très bien, c'était à Viroflay, il y avait le pont, là, etc. Ma poussette restait dehors. Je me rappelle très bien. Je regardais la vitrine où il y avait cette vache. Et à un moment je vois un gros bonhomme arriver avec un truc tout blanc, taché de sang et qui me regarde et me fait coucou. Et puis il vient, il prend la vache, il passe et il me la donne.  

Eva Roque : C'est votre éditeur qui dit que vous êtes hypermnésique, que vos sens sont ultra développés. Je me suis posé une question. Si L'Arabe du futur était une odeur, ce serait laquelle ? 

Riad Sattouf : Ce serait l'odeur de l'encre d'impression des livres. Ils sentent très bons. Mes livres sont imprimés en France pour la grande partie et ils sont très bien imprimés. Ils ont une bonne odeur fraîche d'encre. J'adore cette odeur. 

Eva Roque : Est-ce qu'il y a un goût de L'Arabe du futur ? 

Riad Sattouf : Si on lèche les pages, c'est un petit peu amer ! C'est destiné à être amer pour indiquer aux enfants que ce n'est pas bon de lécher les pigments. Le goût amer est un répulsif et donc ils mettent vraiment le goût amer. L'Arabe du futur est donc assez amer.

Eva Roque : Ce n'est pas par hasard, si je vous parle de goût. Il y a une scène de ce cinquième tome qui m'a rappelé évidemment une autre scène des Beaux gosses.

Extrait film Les beaux gosses

Votre personnage, comme à l'adolescence on l'a tous fait, s'interroge à savoir dans quel sens il faut tourner la langue pour embrasser...  

Riad Sattouf : C'est vrai. Notamment, je me rappelle moi dans mon collège, les gens qui s'embrassaient roulaient des pelles toujours dans le même sens, et ça tournait comme une horloge, je me disais mais c'est étrange, pourquoi ne pas essayer de varier ? Mais si on varie, est-ce que l'autre personne va stresser en se disant qu'est-ce qu’il se passe ? Et donc, en fait, il y avait une sorte de comportement commun de tout le monde et à la même vitesse, parce qu'on voyait la langue tourner dans les bouches. Pas dans la mienne parce que je n'arrivais pas à rouler des pelles et je n'avais pas de copine, mais je voyais les autres et tout le monde était là avec sa langue en train de tourner comme ça c'était assez marrant.  

Eva Roque : D'après vous, quel est le point commun entre ces ados boutonneux, des beaux gosses, vous, L’Arabe du futur et le personnage d'Esther ?

Riad Sattouf : Disons que j'ai plusieurs fois observé les mêmes rites de passage. Ils m'intéressent beaucoup. Parfois je me dis : "est-ce que j'aurais pu les vivre autrement ou mieux personnellement dans ma vie ou différemment ? Et comment vivent les jeunes aujourd'hui ?" Avec les cahiers d'Esther ça m'intéresse aussi de savoir comment les rapports entre les garçons et les filles évoluent. Dans Les Beaux gosses ce n'étaient pas directement autobiographique. Au contraire, le personnage joué par Vincent Lacoste était bien plus dégourdi que moi. Je lui faisais avoir, quand même, un rapport sentimental. Et donc, c'est aussi une création pour essayer de voir, en rejouant par le cinéma, des choses qui ne se sont pas passées. 

Eva Roque : De toutes ces œuvres Riad Sattouf moi, je retiens notamment la qualité des mots employés par vos personnages. Je veux dire que vous avez une capacité à trouver les bons mots et les mots justes que vous mettez ensuite dans la bouche des adolescents. Comment faites-vous concrètement ? Comment travaillez-vous sur ce point ? Je sais que pour Les Cahiers d'Esther vous avez travaillé avec elle mais, quand même après, il faut la retranscrire. Pareil pour vos mots dans L’Arabes du futur. Pareil pour les beaux gosses. Comment travaillez-vous ça ? 

Riad Sattouf : J'imagine le personnage dans ma tête et je le fais parler. Je dis les dialogues à voix haute. Ça m'arrive parfois d'échanger avec elle uniquement par écrit pendant de longues semaines, sans jamais lui téléphoner. Puis, un jour, je me dis tiens, je vais l'appeler pour voir comment elle a changé. En fait, je me rends compte que sa façon de parler a complètement évolué par rapport à la fois d'avant et ça oriente mon personnage. Je corrige dans ma tête sa voix. 

Eva Roque : Et d'ailleurs sa voix dans l'adaptation en dessin animé, c'est toujours la même petite fille qui grandit au fur à mesure des épisodes ? 

Riad Sattouf : C'est ça, c'est marrant parce que je réécoutais le premier épisode que vous avez mis et elle avait en effet une voix de toute petite fille. À l'époque, elle avait 9 ans et maintenant elle est quand même plus grande. C'est drôle de voir qu'en effet, le tout petit moment où elle a eu cette voix est marqué dans la série. On l'aura pour longtemps. 

Eva Roque : Le podcast SERIELAND est né parce que je suis assez convaincue que les séries sont un miroir de notre société, parfois déformé. Déformant en tout cas, mais tout de même. Est-ce que vous partagez ce point de vue ? Est-ce qu'au fond, vous n'êtes pas le meilleur des sociologues ? 

Riad Sattouf : C'est très difficile pour moi de dire ça. Le fait d'être seul à une table avec des dessins, c'est aussi une forme de réflexion et de réflexion sur moi-même. C'est moi qui passe le plus de temps avec mes dessins. Il faut qu'ils m'apportent quelque chose et le sujet de mes livres doit m'apporter quelque chose. Souvent, quand je choisis une histoire que je vais raconter. L'idée d'une série comme Les Cahiers d'Esther, c'est aussi d'essayer de voir un personnage qui évolue sur le long terme. Quelqu'un de réel aussi. D'essayer de voir comment l'histoire évolue et est-ce que à travers l'observation de cette évolution je peux me projeter encore plus loin dans le futur et prévoir certaines choses qui se passeraient ou pas. C'est plus un dialogue avec moi-même qu’une production d'une œuvre artistique. Je ne sais pas comment décrire ça. C'est aussi pour cette raison que j'ai du mal avec toutes les choses vraiment romanesques, dans le sens totalement inventées, parce que je suis peut-être blasé. J'ai du mal à me surprendre avec des idées inventées. Ou souvent quand je regarde des séries fantastiques, etc. J'aime bien, mais je suis toujours déçu parce que je sais ce qu'ils vont à peu près faire. Alors que quand la vie est racontée, il y a toujours quelque chose de plus organique. 

Eva Roque : Quelles sont les séries que vous regardez, justement ? 

Riad Sattouf : J'en ai regardé plein. J'ai regardé énormément de séries dans tous les genres. J'ai bien aimé Fleabag de Phoebe Waller-Bridge. J'ai trouvé ça pas mal. 

Eva Roque : Il paraît que vous aimeriez bien la rencontrer, vous l’avez mentionnée dans votre casting de dîner idéal...

Riad Sattouf : Ça me faisait beaucoup rire parce qu'il y avait une sorte de franchise et de liberté dans ce qu'elle racontait. Je trouvais ça très drôle. Bien sûr, j'ai adoré toutes les séries de HBO. Je me rappelle avoir eu un choc majeur quand j'étais étudiant et qu'Internet et le streaming n'existaient pas encore, mais HBO existait déjà. J'avais un copain qui me refilait des VHS avec la série Oz, je pense que c'est un des grands chefs-d'œuvre de l'humanité. C'est incroyable d'avoir fait cette série et je me disais c'est hallucinant de pousser cette série jusqu'à ce niveau-là, d'oser faire tout ce qu'ils font avec tous ces mecs. Les nazis, les Latinos, les mecs, les viols et j'en passe. C'est d'une liberté et d'un lâchage complet, je trouvais ça génial...

Eva Roque : Et vous ne voulez pas en faire une série, justement, je me disais pourquoi ne pas adapter L'Arabe du futur en série ? Pas en série animée pour le coup, mais en série comme on l'entend. 

Riad Sattouf : Il faut déjà que je termine l'histoire parce que c'est compliqué de se projeter dans autre chose. Et puis, c'est compliqué quand même de faire une série. Il faut convaincre beaucoup de gens. Moi, pour faire une bande dessinée, j'ai juste à faire des dessins et à le faire lire à mon éditeur et à mes copains. Pour faire une série, il faut quand même beaucoup d'argent. Il faut convaincre des gens qui mettent leur argent, qui veulent être convaincus qu'ils ne sont pas en train de perdre leur argent. C'est un petit peu décourageant, pour le moment. Mais j'aimerais terminer avant de m'y atteler peut-être. 

Eva Roque : Je parlais de vous comme sociologue il y a un instant, j'aurais pu dire aussi feuilletoniste. C'est le mot qu'on utilise quand on parle de séries. Vous avez quand même fait une série. 

Extrait "Les colocs"

Une série qui était réservée pour le web et qui s'appelle Les Colocs. Qu'est-ce que c'est que cette web série ? 

Riad Sattouf : C'était une web-série publicitaire que j'avais faite pour une banque française ! 

Eva Roque : Mais alors qu'on ne voit pas du tout une banque... 

Riad Sattouf : Non, justement, c'est ça qui était extrêmement marrant. Ils souhaitaient que je fasse une série sur la colocation, mais il n'était jamais question de banque. C'est arrivé une seule fois dans l'histoire de l'humanité. C'est moi qui l'ai fait. Je n'ai pas encore compris pourquoi, mais c'était hyper bien de faire ça. J'avais adoré et c'est à cette occasion qu’en casting j'avais repéré William Lebghil, qui a joué après dans Soda, etc. C'était le premier truc qu'il avait fait. C'était juste après Les Beaux gosses. 

Eva Roque : Il paraît que vous entretenez des relations très fusionnelles avec vos acteurs. Vincent Lacoste en avait parlé à Europe 1. Vous gardez le lien avec eux ? Vous êtes très amis. Est-ce que c'est vrai ou est-ce qu'il a exagéré ? 

Riad Sattouf : Non, c'est vrai. On se voit tout le temps, on s'écrit tout le temps. On s'envoie des blagues sur Internet, etc. Je me sens un peu responsable. J'aimerais être sûr qu'ils ne vont pas sombrer dans la toxicomanie, par exemple parce que quand on a trop de succès... Moi, je sais bien, quand William jouait dans Soda, où il avait beaucoup de succès, il y avait des meutes de jeunes post-pubères ou prépubères qui lui sautaient dessus avec leur portable pour le prendre en photo. On peut être tenté de devenir alcooliques ou de sombrer dans des excès. Ça existe et je voudrais être là pour leur dire : "non, ne fais pas ça". 

Eva Roque : Pardon, mais je vous renvoie la question parce qu'en parlant de succès, s'il y a bien un auteur de bande dessinée qui a du succès en France, c'est vous, et je pense que vous faites aussi des selfies. Est-ce que vous avez sombré dans la toxicomanie et l'alcoolisme... 

Riad Sattouf : C'est qu'en fait, en les fréquentant par l'éclat de mon exemple, ils me suivent. Ils vont faire comme moi parce que n'y a pas plus rabat-joie que moi avec la drogue, avec le sport, il faut manger sainement, on ne mange que des bons produits, etc. Hors de question de prendre de l'héroïne avec des acteurs de seconde zone, ça c'est interdit et donc je les surveille .... 

Eva Roque : Avant de nous quitter Riad Sattouf on va rester encore un peu dans l'adolescence grâce à Esther.

Extrait des cahiers d'Esther

Alors Esther en "Moi Présidente", est-ce que vous votez pour elle ?

 Riad Sattouf : Non, pas du tout. Ce serait n'importe quoi. J'ai pas du tout envie que les finances publiques soient grevées par le fait qu'on s'endette pour payer des iPhones pas chers pour les gens. Mais c'est vrai que je lui avais demandé quelles seraient les mesures importantes, selon elle. Et donc, elle m'avait fait toute une liste : baisser les prix des iPhones et en faire des produits de première nécessité. Déjà, à l'époque, elle était en avance sur ces questions-là. Mais c'est marrant de d'explorer ce que les gens peuvent avoir en tête si on leur donnait le pouvoir, notamment les enfants. À travers ça, il y a aussi des bonnes idées. Par exemple, quand elle dit qu'elle veut s'entourer de filles et qu’il n’y a pas de filles qui ont le pouvoir. Instinctivement, elle ressent ce manque qu'il peut y avoir dans la société. 

Eva Roque : Est-ce que l'art vous permet d'échapper au monde anxiogène dans lequel on vit actuellement ? Est-ce que Esther, votre personnage et les autres sont des sortes de bouées de sauvetage ? 

Riad Sattouf : Disons que moi, je me concentre sur le fait de continuer à faire des livres en me disant que ça va passer. Je ne peux m'empêcher d'avoir quand même confiance dans le futur. Je crois que ce qui se passe aujourd'hui est une sorte de prise de conscience globale qui crée des embrasements parce que forcément, aujourd'hui, en deux minutes quelqu'un qui écrit quelque chose sur Twitter ça peut être vu tout de suite à l'autre bout du monde. Moi, quand j'étais enfant, que j'habitais dans ce village en Syrie, il fallait un mois et demi pour que les Tintin envoyés en paquet par ma grand-mère, viennent de France jusqu'en Syrie. Quand on appelait, on n’entendait rien. C'était comme d'appeler sur Mars, on entendait une voix toute petite au loin. Donc, cette prise de conscience des gens les uns envers les autres crée forcément des affrontements. La liberté et la non-liberté. Je ne pense pas qu'on va aller jusqu'à l'autodestruction, mais peut-être, me trompe-je. Mais je suis assez optimiste. 

Eva Roque : Dernière question Riad Sattouf. Je sais que vous êtes en promotion en ce moment, mais en dehors des séances de dédicaces, quel est le dernier dessin que vous avez réalisé ? 

Riad Sattouf : C'est un dessin pour mon compte Instagram. J'ai un compte Instagram avec beaucoup de lecteurs qui suivent. Je fais des dessins assez régulièrement. Et le dernier dessin que j'ai fait, c'est un dessin pour demander que les librairies puissent rester ouvertes. 

Eva Roque  Et qui a été viral...

Riad Sattouf : Oui, il a été bien partagé, c'est vrai. 

Eva Roque : Et ça vous est venu d'un coup parce que je sais que vous êtes un fan de librairie, vous avez besoin de ça et lors du premier confinement, c'était très compliqué pour vous de ne pas aller dans les librairies. Il y a eu un côté un peu instinctif comme ça de faire ce dessin, ou on vous l'a commandé ? 

Riad Sattouf : Je l'ai fait moi-même. Et c'est vrai que lors du premier confinement, il n'y avait pas de masque, pas de gel. C'était impossible donc les librairies ont fermé, tout a fermé et c'était une très bonne chose à faire. Ensuite, on a quand même réfléchi au sens de tout ça et j'ai trouvé ça dommage que la culture soit si mal considérée, qu’on ne fasse pas un effort pour laisser les cinémas ou les théâtres ouverts avec des mesures très strictes. D'éteindre ça comme si c'étaient des magasins ou des lieux qui seraient inutiles et dont on pourrait facilement se passer, je trouvais que c'était triste d'un point de vue symbolique. C'est d'ailleurs ce que disait Churchill. Pendant la guerre, il y a son ministre qui vient le voir alors que l'Angleterre était bombardée par les nazis, il y avait toujours des V2 qui tombaient sur Londres. Et quelqu'un lui dit : "il va falloir augmenter le budget de la guerre et on va diminuer le budget de la culture." Churchill l'a regardé et il a dit : "mais diminuer le budget de la culture. Hors de question. Pourquoi on fait la guerre, alors ?" Le fait qu'il l'ait dit, c'était déjà un symbole et on s'en rappelle. Et on se dit mais oui, ce n’est pas pareil que d'autres choses la culture. Il n’y en a pas beaucoup. On ne peut quand même pas dire qu'on est un peuple, où la culture est quelque chose de très répandu, alors de la supprimer comme ça, comme si c'était un problème je trouvais ça triste. 

Eva Roque : Vous êtes essentiels à nos vies Riad Sattouf, je vous le répète et j'attends le biopic de Churchill. L’arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient 1992-1994 est édité chez Allary Editions. Les Cahiers d’Esther se déclinent en 5 albums. Quant aux 3 saisons de la série animée, elles sont disponibles sur mycanal.fr.

 

"SERIELAND" est un podcast Europe 1 studio

Autrice et présentation : Eva Roque
Réalisation : Christophe Pierrot
Cheffe de projet édito : Adèle Ponticelli
Diffusion et édition : Clémence Olivier, Magali Butault et Tristan Barraux
Graphisme : Karelle Villais
Direction d'Europe 1 Studio : Olivier Lendresse