Chaque matin, Vincent Hervouët nous livre son regard sur l'actualité internationale. Ce mardi, il revient sur la préférence de l'Allemagne pour les avions de chasse américain plutôt que français.
L’Allemagne a décidé d’acheter des F-35, l’avion de chasse américain. 35 appareils vont être commandés ainsi que 15 Eurofighters.
Il y a 19 jours, l’entrée en force des blindés russes en Ukraine a sorti l’Allemagne de sa somnolence. La peur a emporté les vieilles réticences à s’armer, 70 ans de pacifisme honteux ont été soudain balayés. Vladimir Poutine aura réussi à provoquer cette révolution mentale. Il a ressoudé l’Otan et ressuscité l’Allemagne avec son casque à pointe. Le chancelier Scholz a sorti son carnet de chèques, promis de consacrer 2% du PIB à la défense et mis cent milliards sur la table. Et comme la guerre sonne à la porte, il s’est précipité pour acheter sur étagère, le meilleur appareil américain, celui qui lui apporte la meilleure garantie, le F-35 de Lookheed Martin. C’est l’appareil et l’assurance qu’offre l’Otan qu’ont déjà choisi les Italiens, les Polonais, les Néerlandais, les Norvégiens, les Suisses, sans oublier les Britanniques. Le choix de l’Allemagne risque de précipiter celui des Tchèques et des Grecs. On regarde la liste et on se dit que l’Europe vole américain. Que la guerre en Ukraine assoit la domination américaine sur l’Europe. Les esprits terre à terre disent que le F35 passe le plus clair de son temps cloué au sol et que sa maintenance est hors de prix. Un désastre financier et militaire mais un triomphe commercial. Mais c’est là son moindre défaut.
Les Français craignent surtout qu’avec des F-35, l’Allemagne enterre le projet d’avion de combat européen, le Scaf…
Scaf comme système de combat aérien du futur… Avec cela, l’Europe sera prête pour la guerre en 2045. Le projet a été lancé en grandes pompes, il y a dix ans. Au départ, avec les Britanniques. Le Brexit l’a abattu en plein vol. Les Allemands et les Espagnols ont pris le relais, mais le projet s’est rapidement enlisé. Pourquoi ? A cause des querelles entre Dassault, chargé de la maitrise d’œuvre et Airbus. Les ingénieurs mettent du génie dans leurs querelles. Les Français qui protègent leurs secrets industriels en sont venus à se demander si les Allemands tenaient vraiment à construire cet avion ou si ces fourbes s’en servaient seulement pour obtenir des transferts de technologie. Autrement dit, rattraper le retard qu’ils ont accumulé depuis la guerre, depuis que les Messerschmitt, les Stukas et les V2 ont été cloués au sol et leurs inventeurs cloués au pilori. Fin février, alors que les tambours de la guerre résonnaient déjà aux frontières du Donbass, le nouveau chancelier Olaf Scholz prétendait que ce projet d’avion de combat européen était une priorité absolue, même s’il n’était même pas évoqué dans le contrat de coalition avec les écologistes. Cela fait trois semaines, c’est comme si cela remontait à trois siècles.
Hier, c’était le bon jour pour mettre bas les masques…
L’Allemagne va se fournir en F-35 et même si elle dit le contraire, cet avion, le seul qui soit agréé par Washington pour transporter les bombes nucléaires de la force de dissuasion de l’Otan entreposées en Allemagne, fera double emploi avec le Scaf. C’est le dernier clou dans le cercueil de l’avion de combat européen. On pourra toujours reprocher à l’Allemagne d’imposer à ses voisins européens ses caprices à courte vue, que ce soit le refus de toute dette hier, le gaz russe et le charbon aujourd’hui et les F-35 demain. Au fond, la vérité qui dérange est ailleurs. L’Europe des années 60 unissait la France forte de sa dissuasion et de sa place au conseil de sécurité à l’Allemagne qui pesait lourd sur le plan économique mais restait un nain politique. La réunification a faussé cet équilibre. Et à l’avenir, on voit mal comment une Allemagne forte économiquement et redevenue une puissance militaire au cœur de l’Europe pourra supporter une France à la peine.