Quatre mille… C’est le nombre de manuscrits que Denis Gombert affirme recevoir en un an. Ce responsable des manuscrits aux éditions Robert Laffont ne publie au final que deux à trois romans dans l’année. Quelque 3.998 romans ne seront donc jamais édités… Pour savoir comment faire leurs choix, les éditeurs s’appuient sur l’avis de lecteurs professionnels, qui forment ce qu’on appelle un comité de lecture. Encore aujourd’hui ce métier reste opaque, entouré d’un certain mystère. Sur la dizaine de grandes maisons d’édition contactées pour en savoir plus sur ce sujet, seules deux ont répondu de façon favorable.
Avant d’envoyer les manuscrits à leurs lecteurs, les éditeurs réalisent généralement un premier tri. « Je mets de côté ceux qui ne répondent pas à des critères de base, quand il y a un manque cruel de langue française, ou d’orthographe, bref qui sont mal écrits. », indique Denis Gombert. Il refuse également d’emblée les textes qui ne correspondent pas aux publications maison : les thèses de doctorat, ou encore les œuvres de théâtre ou de poésie.
Quand le manuscrit lui convient, il le transmet au fameux comité de lecture. Pour cela, il s’attache surtout à ce que « l’écriture soit maîtrisée, et que l’histoire ne soit pas lue et relue. » Sur tous les manuscrits qu’il reçoit, il n’en transmet que 20% en moyenne au comité de lecture. Les autres sont éliminés d’office. Certaines maisons d’édition fondent même leur jugement sur une partie du roman uniquement. C’est le cas du Cherche-Midi, qui demande aux auteurs de n’envoyer que les cinq premières pages de leur manuscrit. C’est sur ce critère que les éditeurs vont choisir d’envoyer le texte à leurs lecteurs professionnels, ou pas.
Da Vinci Code ou Stephen King
Quand les romans sont sélectionnés, ils sont ensuite examinés par l’œil critique des membres du comité de lecture. Ils sont sept passionnés chez Robert Laffont. Pour la grande majorité ils ont déjà travaillé dans l’édition. Deux membres de ce comité de lecture sont des écrivains, l’un a travaillé dans la production de films documentaires, et l’une est l’assistante de Denis Gombert. L’une est prof de français en lycée. Il s’agit de Laurence, la seule à ne pas avoir travaillé à temps plein chez Robert Laffont avant de rejoindre ce comité de lecture.
Cette agrégée de Lettres a débuté par un stage, et a convaincu les éditeurs de lui confier davantage de responsabilités. C’était en 1981. Aujourd’hui elle lit une dizaine de livres par mois, en parallèle à son métier de professeure à mi-temps. A chaque livre, elle remet une note allant de 1 à 4, 1 étant la plus élevée et équivalant à un ouvrage « ébouriffant ». Elle joint également une fiche de lecture en deux parties, un résumé de l’intrigue puis un commentaire. « Je me fie à mes goûts mais ce n’est pas si subjectif. Il faut qu’il y ait un style, une écriture et un sujet original. Je vois malheureusement beaucoup de romans inspirés directement de Da Vinci Code, de Stephen King, ou construit sur le mode de l’autobiographie pas très intéressante. » Cette lectrice à l’œil acéré n’épargne pas « les gens qui racontent leur psychanalyse, qu’ils essaient de se faire rembourser en droits d’auteur. » Elle est pourtant attentive aux critères du marché, même s’ils ne correspondent pas à ses goûts. Dans ce cas elle recommande une lecture par un autre membre du comité.
Après cette étape, Denis Gombert reçoit ces fiches de lecture. Si le livre lui convient, il le défend lors d’une réunion du comité éditorial, qui a lieu tous les mois. Il y emporte deux à trois ouvrages à chaque fois. La dizaine d’éditeurs se penche alors sur ces livres. Ils prennent leur décision et veilleraient à ne pas publier un type d’ouvrages déjà commercialisé.
5.000 euros nets par mois
Autre type de lecteur, Jean-Marie Laclavetine travaille quant à lui pour Gallimard. Il dit lire trois à cinq manuscrits par semaine. C’est Antoine Gallimard lui-même qui lui a demandé de rejoindre ce groupe de lecteurs en 1989. Jean-Marie Laclavetine a alors 35 ans et déjà écrit trois romans publiés chez Gallimard. La plupart des lecteurs de cette maison sont des auteurs. Aujourd’hui, il recherche avant tout des livres ayant une exigence stylistique, une marque de fabrique de cette maison d’édition selon lui. Il rédige lui aussi des fiches de lecture en deux parties, la première plutôt descriptive et la deuxième plus critique.
Il travaille chez lui la plupart du temps, et passe deux jours par semaine chez Gallimard. Il y rencontre alors des auteurs et d’autres professionnels impliqués dans la fabrication du livre, attachés de presse, etc. Il insiste d’ailleurs sur la notion d’échange avec les auteurs. Il est fréquent qu’il contacte voire qu’il rencontre un auteur pour l’encourager à persévérer, même s’il ne l’édite pas. Il gagne aujourd’hui 5.000 euros nets par mois, mais ce n’est pas le cas de tous les lecteurs chez Gallimard, qui ne lisent pas tous autant et ne sont pas tous aussi impliqués dans le processus de fabrication. Laurence quant à elle gagne 30 euros nets par manuscrit lu. Mais elle exerce ce métier particulier avant tout par passion. Il lui a permis de contacter et de rencontrer de sa propre initiative des auteurs dont elle a apprécié les romans. Qui n’ont pas toujours été édités…
Des lecteurs pro mais bénévoles
« Les auteurs reçoivent des lettres de refus qui ne justifient pas cette réponse négative. » C’est ce constat qui a incité la psychanalyste Delphine Schilton à fonder le site Internet Comité de lecture.com. Pour cela elle a réuni une équipe d’une dizaine de lecteurs bénévoles. Ces derniers reçoivent des ouvrages que les maisons d’édition ont généralement refusés dans un premier temps. Une quarantaine de manuscrits leur arrivent tous les mois, mais devant des envois de plus en plus nombreux ils ne peuvent lire que le quart. Ils rédigent ensuite des avis qu’ils envoient à l’écrivain en herbe, pouvant aller jusqu’à dix pages. Avec ces conseils gratuits, ils visent à développer l’écriture et à favoriser l’apparition de nouveaux auteurs.