Marc-Olivier Fogiel : les Chinois sont-ils devenus fous ? Alors que toutes les bourses du monde s'effondrent, ils en créent une nouvelle, et le 1er Mai, jour de la fête du travail en plus ! Mais dans quel monde vit-on Pierre-Marie Christin ?
Oui, c'est assez étonnant, d'autant plus que la Chine préparait ça depuis dix ans...
Ce nouveau marché est en fait une sorte de copie du NASDAQ Américain ou du second marché français, réservé aux PME et aux nouvelles entreprises. C'est là que se financent notamment les entreprises de haute technologie, et Microsoft y avait d'ailleurs commencé aux Etats-Unis. Ca vous donne déjà une idée de ce que veulent les chinois, surtout lorsque l'on sait que les PME représentent là-bas 80 % des emplois.
Leur but est multiple : premièrement, investir dans l'innovation pour que la Chine ne soit plus seulement l'atelier d'assemblage de ce qui a été conçu ailleurs, deuxièmement, assécher une partie de l'épargne (évaluée à 2 000 milliards de dollars) qui dort actuellement dans les caisses chinoises, troisièmement, développer l'industrie et les services, notamment dans l'intérieur du pays et, bien sûr, faire "Jeu capitaliste" égal avec l'Occident avant dix ans d'après le Premier Ministre Wen Jiabao, qui affirme aussi que le yuan finira par devenir la monnaie mondiale.
Marc-Olivier Fogiel : en pleine crise, c'est quand même très risqué non ?
Très très très risqué. La preuve : la moitié des entreprises qui étaient sur les rangs il y a un an seulement ne pourront pas intégrer cette nouvelle bourse parce qu'elles ne font plus assez de bénéfices ! En cas d'échec, les chinois, habitués à la toute puissance du gouvernement vont évidemment se tourner vers lui et, alors que les tensions sociales dues à la montée du chômage sont déjà très fortes en Chine, il se peut que cela provoque des désordres terribles.
Marc-Olivier Fogiel : pourquoi ont-ils décidé de le prendre, ce risque ?
On en a parlé ici assez souvent. Le pouvoir chinois est fondé sur un contrat implicite : "Nous gouvernons, vous vous enrichissez et vous vous taisez". Mais crise ou pas crise, ce système était déjà menacé par les écarts de revenus entre les nouveaux riches et des ouvriers sous-payés sans système de santé et par le déséquilibre croissant entre des régions sans écoles ni routes et des villes côtières ultra-modernes. La crise n'est qu'une occasion pour accélérer l'Histoire.
Marc-Olivier Fogiel : Et qu'est-ce qu'une bourse de plus pourrait y changer ?
C'est un plan global, voire même colossal et on ne peut pas ne pas être impressionné sa cohérence. Pékin veut créer de nouveaux instruments financiers, investissent massivement dans des infrastructures, commencent à inventer un système de santé et de retraite, apprennent à se passer du dollar, notamment dans leurs échanges avec l'Amérique du Sud, le tout sur fond d'une grande campagne de propagande qui a commencé et qui va saturer les médias sur le thème du nationalisme jusqu'à l'Exposition Universelle de l'année prochaine car, comme le disait le Maréchal Foch "Mon centre cède, ma droite recule. Situation excellente, j'attaque !"