Marc-Olivier Fogiel : Claude Askolovitch bonjour. Faut-il interdire les listes européennes de Dieudonné ? Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, le souhaite en tous cas...
Et s'il a moralement raison, il est peut-être politiquement en tort. Car oui, la démocratie se porterait mieux sans des listes Dieudonné. Et oui encore, le thème politique quasi unique de Dieudonné relève d'un antisémitisme assez classique, abrité derrière le mot antisionisme, c’est-à-dire la dénonciation des juifs, comme d’une minorité privilégiée qui disposerait d’un pouvoir exorbitant, qui manipulerait ou controlerait les gouvernements et d’abord le gouvernement français.
Claude Guéant a raison de dénoncer Dieudonné. Le problème, c’est qu’il n’est pas un simple commentateur, mais un homme de pouvoir et, qui plus est, un homme de pouvoir qui dit qu’il n’est pas du tout certain d’avoir la possibilité juridique d’agir contre ces listes. Donc pour l’instant, il n’a rien fait hormis du bruit et du débat. Résultat : on redonne une existence médiatique à un agitateur qui ne demandait que ça. On parle de Dieudonné, on l’interroge, il se retrouve en dialogue avec le numéro deux de l’Elysée, on lui accorde une importance qu’il n’avait plus, et on lui permet de se victimiser !
Marc-Olivier Fogiel : Et pourquoi l’Elysée prend-il ce risque ?
Parce qu'il ne faut pas exclure la sincérité ou l’inquiétude sur l’écho que pourrait avoir Dieudonné notamment auprès des jeunes de banlieue, avec les conséquences que l'on imagine sur la paix civile. Mais n'excluons pas non plus la stratégie : l’Elysée veut définir un cadre admissible du débat démocratique, s’installer en garant de la raison au moment où tout est en train d'exploser.
Il y a, enfin, une dernière version : celle d’un pouvoir qui voudrait créer un débat artificiel pour distraire l’opinion. C’est, du moins, ce que suggérait hier soir, le socialiste Benoit Hamon sur Europe 1. Ca peut exister parce que la politique n’est pas un art naïf. Il y a une utilisation possible de Dieudonné comme un repoussoir commode. Ca c’est beaucoup pratiqué jadis avec Jean-Marie Le Pen !
Marc-Olivier Fogiel : Mais Le Pen, lui, n’a jamais été interdit...
Ce qui ferait un "deux poids, deux mesures" au détriment de Dieudonné ! Effectivement, malgré une somme impressionnante de dérapages -le "détail de l’histoire" en est l'exemple le plus flagrant- on n'a jamais interdit Le Pen. Mais on a beaucoup joué avec lui. Il était bien utile pour afficher sa propre vertu et pour embarrasser l’adversaire. D'ailleurs la gauche aussi s’en est beaucoup servi !
Il y a cependant une différence entre Le Pen et Dieudonné. Le Pen parlait aussi de politique. Il avait des électeurs, il appartenait au système, il a été député sous la IVe République. En somme : on savait d’où il venait cette une nouvelle incarnation de la vieille extrême-droite française.
Dieudonné est plus compliqué, parce qu’il a été un progressiste, un humoriste consensuel, voire même une figure du mouvement antiraciste avant de devenir l’ami de Le Pen ou du négationniste Robert Faurisson, et il se réclame toujours aujourd’hui des exclus...
Il montre -ou il rappelle- qu’un fascisme peut naître là où on ne l’attend pas, dans une ambiance de Grand-Guignol où le rire même fait perdre les repères et la vigilance. C’est forcément plus perturbant pour les commentateurs comme pour les politiques, et on veut toujours se débarrasser de ce qu'on ne comprend pas.