Marc-Olivier Fogiel : Karim Benzema est donc parti au Real Madrid, et pour vous Claude Askolovitch, c’est une histoire politique !
C'est une leçon sur les modèles français. Benzema d'abord, qui devient le plus gros transfert d'un joueur français vers l'étranger. Un gamin qui a grandi dans l'Est lyonnais, qui est d'origine algéro-marocaine, qui est musulman pratiquant et qui devient un symbole national. Il y a quelques années, on en aurait fait un modèle ou une histoire emblématique, mais justement, on n’en parle pas, et c'est encore plus fort, c'est la banalité de son parcours. Il y a des menus hallal à la cantine des joueurs à Lyon et en équipe de France, et la maman de Karim prend des jours de jeûne à sa place parfois pendant le ramadan. C'est n'importe quel gosse, c'est la France d'aujourd'hui. Et ça montre la réalité d'une société pluriculturelle qui est intégrée, qui se pose beaucoup moins de questions et qui est beaucoup plus apaisée qu’on ne pourrait le croire quand on entend, par exemple, le débat sur la Burqa.
Marc-Olivier Fogiel : Mais cette preuve de l'intégration part à l'étranger !
Comme beaucoup de mômes qui veulent réussir parce que la France est une société bloquée. Ce que rappelle ce transfert, c'est que le foot français est moins riche en opportunités et moins riche tout court que le foot espagnol. Lyon n'a pas les moyens de garder son joueur, c'est un petit club comparé au Real. Mais il y a des raisons à ça et elles ne sont pas déshonorantes. Le foot espagnol se développe sans les contraintes qui s'imposent aux clubs français : des règles de fonctionnement, une commission de contrôle financier, une espèce de surplomb moral. Ce n’est pas un hasard si c'est Platini, un Français, qui dénonce la folie des transferts du Real. La France, c'est le pays des normes, c'est la République, un modèle qui s'oppose au néo-libéralisme et au règne de l'argent.
Marc-Olivier Fogiel : Mais ce modèle empêcherait donc nos clubs d'être tout à fait conquérants.
Les règles sont des freins mais on en a besoin. C'est un débat qu'on a tout le temps y compris dans les discussions sur l'endettement et l'investissement. La dernière leçon de l'histoire Benzema, c'est notre rapport compliqué à l'argent et au succès. Jean-Michel Aulas aimerait bien être le patron du Real. C'est intéressant de l'entendre commenter sa défaite. Il dit à la fois que Benzema réalise un rêve, qu’il va tripler son salaire et mettre sa famille à l’abri du besoin. On est dans un mélange de sentimentalisme, de fascination pour l’argent et de paternalisme qui est très curieux. On ne sait plus si on est dans un conte de fée ou dans des comptes de très riches apothicaires, et ça c'est tout le rapport des français à l'argent.
Voilà pourquoi il n'y a rien de plus politique que le foot ! Ca méritait d'être dit, Marc-Olivier, vous qui êtes un passionné de politique et de foot, pour votre dernier match de la saison en attendant le mois d'août !