C'est la fin partielle d'un des plus grands mystères criminels français. Une énigme en partie résolue depuis jeudi. Un Perpignanais de 54 ans, placé en garde-à-vue le 14 octobre, est passé aux aveux et a reconnu avoir tué Moktharia Chaïb, une étudiante de 19 ans dont le corps a été retrouvé affreusement mutilé à l'hiver 1997. En revanche, l'incertitude demeure autour des deux autres "disparues de la gare de Perpignan", deux jeunes femmes qui, comme Moktharia, ont été retrouvées assassinées autour de la station perpignanaise. Le flou entoure toujours en partie l'une des plus grandes énigmes criminelles de l'histoire récente française.
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Europe 1 retrace 19 ans de piétinements, de soupçons et de rebondissements, qui ont finalement mené jusqu'au suspect entendu par les enquêteurs entre le 14 et le 16 octobre.
Trois disparitions pour deux corps
Mokhtaria Chaïb , un corps mutilé avec précision. Cette affaire débute le 21 décembre 1997, sur un terrain vague, dans les environs de la gare de Perpignan. La police vient d'y découvrir un corps de jeune femme affreusement mutilé, dont le vagin et les seins ont été prélevés de façon chirurgicale.
Il s'agit de Mokhtaria Chaïb, une belle brune de 19 ans, étudiante en sociologie à l'université de la ville. Cette découverte vient faire écho à une affaire de disparition mystérieuse qui a secoué la ville deux ans plus tôt.
Une première disparition près de la gare. Dans la soirée du 25 septembre 1995, Tatiana Andujar, lycéenne aux cheveux noirs de 17 ans, revient de Toulouse à Perpignan en train. Depuis la gare, la jeune femme a pour projet de faire du stop jusqu'au village de ses parents. Tatiana n'arrive jamais à destination. Les enquêteurs pensent alors à une fugue. Elle n'a plus donné signe de vie depuis et son corps reste introuvable.
Deux ans plus tard, la scène du crime de Mokhtaria se situe à 500 mètres du point d'auto-stop choisi par Tatiana. Mokhtaria et Tatiana, deux jolies brunes au destin funeste : l'affaire des disparues de la gare est née. Dans la ville de Perpignan, la psychose d'un tueur en série grandit. Une troisième disparition vient l'alimenter quelques mois plus tard.
Marie-Hélène Gonzalez, la troisième victime. Marie-Hélène Gonzalez, belle brune de 22 ans, descend de son train en gare de Perpignan, le 16 juin 1998. Elle doit ensuite se rendre près du village de Llupia, destination de Tatiana Andujar trois ans plus tôt. Mais elle aussi n'arrivera jamais à destination.
Son corps est finalement découvert sur un terrain vague non loin de la gare, comme Mokhtaria Chaïb. Le cadavre est lui aussi mutilé au niveau du sexe, tandis que la tête et les deux mains ont été découpées. Ce second meurtre vient paradoxalement fournir un alibi au premier homme suspecté dans cette affaire, alors en détention provisoire depuis 6 mois.
Derrière l'ombre du tueur en série, deux suspects
Un faux chirurgien que tout accable... Dans les semaines qui suivent la mort de Mokhtaria Chaïb en décembre 1997, la police judiciaire de Perpignan interpelle un homme qui a importuné des étudiantes sur le campus où la jeune femme suivait son cursus de sociologie. Ce Péruvien du nom d'Andres Palomino Barrios est chirurgien à l’hôpital de Perpignan, où il opère toutefois sans les diplômes requis en France. Or, les médecins légistes qui ont expertisé les mutilations sur le corps de Mokhtaria Chaïb ont conclu que le tueur pouvait être médecin, du fait de connaissances manifestes en anatomie.
Ainsi, tout semble accabler Andres Palomino Barrios. L'homme avait par exemple lavé son fourgon de manière si méticuleuse qu'aucune trace ADN n'y a été retrouvée. Pas même sa propre empreinte génétique. Le faux médecin est mis en examen et écroué en janvier 1998.
Mais la justice, qui privilégie alors la piste d'un tueur en série, le libère six mois plus tard après la découverte du corps de Marie-Hélène Gonzalez. Faute de preuves. Il bénéficiera finalement d'un non-lieu en 2003. En septembre 2012, Andres Palomino Barrios est retrouvé mort étranglé dans son appartement de Valence, en Espagne.
… puis Esteban Reig, le tueur "psychopathe". A la fin des années 2000, les soupçons s'orientent principalement vers la piste d'un Espagnol du nom d'Esteban Reig. Cet homme est arrêté à Lyon en 2000 pour le meurtre de son colocataire qu'il a dépecé et délesté de ses parties génitales post-mortem. Présenté comme un dangereux psychopathe, il est apparu qu'Esteban Reig avait séjourné à Perpignan au moment de la mort de Mokhtaria Chaïb et Marie-Hélène Gonzalez.
Lors de son audition par le juge d'instruction à Lyon, il avait d'ailleurs eu cette déclaration troublante : "j'aime bien aller dans les gares quand il y a des jolies filles et que je peux faire connaissance avec elles". Esteban Reig s'est suicidé en détention en 2002.
De nouvelles expertises, deux ADN inconnus… L'enquête n'a pour autant jamais été interrompue. On comptait ainsi en 2012 près de 500 auditions de témoins et 200 gardes à vue dans ce dossier. Nouvel espoir en 2011 : une trentaine de scellés prélevés sur les scènes de crime ont été envoyés à un laboratoire de pointe, spécialisé dans les recherches ADN. En 2013, les résultats avaient permis d'isoler deux ADN masculins inconnus la scène de crime de Mokhtaria. Andres Palomino Barrios et et Esteban Reig avaient ainsi été écartés de la liste des suspects, tout comme un troisième homme condamné dans une autre affaire de meurtre en 2004.
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… et un recoupement. Le 14 octobre dernier, ce sont finalement des "rapprochements entre les ADN recueillis" et celui d'un Perpignanais de 54 ans, fiché pour des agressions sexuelles, qui ont débouché sur cette interpellation. Mais les enquêteurs préfèrent rester prudents car il s'agit d'un "match" relatif: les ADN ne concordent partiellement. Selon Midi-Libre, qui a révélé l’information, ce quinquagénaire était déjà connu pour agressions sexuelles. Placé en garde-à-vue, il nie toute implication dans ces disparitions pendant 48 heures. Avant de passer aux aveux sur le meurtre de Moktharia Chaïb. Une victoire pour la famille et les enquêteurs, 19 ans plus tard. Mais les morts de Tatiana et Marie-Hélène, elles, restent toujours inélucidées.