C'est un feuilleton qui connaît ses derniers épisodes. Le rapporteur du Conseil d’Etat s’est prononcé en défaveur du maintien en vie de Vincent Lambert. Avant que la plus haute juridiction administrative rende sa décision le 24 juin, Europe1.fr revient sur l’histoire de ce jeune homme tétraplégique, qui a tourné peu à peu au feuilleton médico-judiciaire, Une affaire ponctuée par de nombreuses décisions expertises et contre-expertises depuis 2013.
29 Septembre 2008, l’accident. C’est là où tout commence pour l’affaire, et là où tout bascule pour l’homme. Vincent Lambert, infirmier à l’hôpital de Châlons-en-Champagne, emprunte le trajet quotidien vers son travail. Une petite route déserte, sur laquelle il perd le contrôle de sa voiture. L’accident provoque des dégâts cérébraux : lors de son hospitalisation, le jeune homme de 32 ans passe de l’état de coma profond à celui de conscience minimale. Médicalement, cela signifie qu’il donne encore quelques signes de conscience comme le mouvement des yeux. Malgré ces indices plutôt rassurants, l’équipe médicale en charge de son dossier note que son état ne permet pas d’être sûr "qu’il intègre correctement les informations sensorielles".
Année 2011, l’interrogation. Après deux ans d’hospitalisation, Vincent Lambert est diagnostiqué « en état de conscience minimal plus » par le service du Professeur Steven Laureys du centre de recherche sur le coma, l’un des spécialistes mondiaux de la question. Un diagnostic scientifique qui laisse entendre à la famille de Vincent Lambert qu’il ne reviendra jamais à la conscience. Ces observations semblent appuyées par les échecs répétés des équipes médicales de l’hôpital Sébastopol de Reims à établir une communication avec le jeune père de famille. 80 séances d’orthophonie n’y feront rien, le contact n’est pas établi. Ses proches doivent alors régler la douloureuse question du maintien ou non en Vincent Lambert en vie, régie depuis 2005 par la loi Leonetti, que François Hollande aimerait moderniser.
Question douloureuse et épineuse puisqu’il n’a pas laissé de directives anticipées ni désigné de personne de confiance qui déciderait. La famille se scinde alors en deux clans : les parents de Vincent Lambert d’un côté, convaincus de la "farouche volonté de vivre" de leur fils ; de l’autre sa femme, ses frères et sœurs, qui affirment que Vincent ne partageait pas les convictions de ses parents catholiques traditionalistes et ne voudrait pas vivre en état de dépendance. S’engage alors entre les deux parties un combat par décisions de justice interposées.
8 avril 2013, le premier arrêt du traitement. L’équipe médicale du CHU de Reims explique avoir noté des "oppositions aux soins", une réaction du patient que les médecins considèrent comme "un refus de vivre". Le chef de service, le docteur Eric Kariger, engage donc une procédure collégiale prévue par le code de déontologie médicale. L’un de ses confrères appuie son avis, ils décident donc avec l’accord de son épouse, de ne plus hydrater ni alimenter Vincent Lambert pour le laisser partir.
11 mai 2013, première victoire pour les parents de Vincent Lambert. Les parents de Vincent Lambert, appuyés par leur avocat Maître Triomphe (également avocat du mouvement intégriste Civitas), demandent à ce que la sonde d’alimentation soit rétablie et déposent un recours au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. La justice leur donne raison et ordonne le rétablissement de l’alimentation artificielle du patient et les traitements reprennent.
10 janvier 2014, les experts penchent à nouveau pour l’arrêt des soins. Une nouvelle procédure d’arrêt des traitements est enclenchée en septembre 2014. En concertation cette fois-ci avec quatre experts pour éviter toute polémique : un universitaire et trois spécialistes sont désignés chacun par une des parties du conflit (le CHU, l’épouse et les parents). Trois défendent l’arrêt des soins, seul l’expert choisi par les parents s’y oppose. Les médecins relancent le processus de fin de traitement.
16 janvier 2014, le tribunal administratif stoppe le processus. Nouveau recours des parents Lambert, et nouvelle décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en leur faveur. Pour les juges, le patient est bel et bien conscient et mérite à ce titre « la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation ». Comme le stipule la loi Leonetti, les soins doivent être maintenus car ils n’ont pas pour seul objectif le maintien en vie.
"Ces actes (médicaux) ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris", précise la loi.
28 janvier 2014, recours devant le Conseil d’Etat. La veille, six proches de Vincent Lambert avaient publié une tribune dans le journal Le Monde, pointant du doigt la portée nationale de cette affaire et le danger d’un "acharnement thérapeutique". Le lendemain, l’épouse de Vincent Lambert dépose un recours devant le Conseil d’Etat contre son "maintien en vie artificiel".
14 Février 2014, troisième expertise médicale. Le Conseil d’Etat demande une troisième expertise médicale qui détermine le 5 mai 2014 que Vincent Lambert relève désormais de "l’état végétatif totalement inconscient". Un état qui correspond aux critères exigés dans la loi pour lancer une procédure d’arrêt des soins.
20 juin 2014, le rapporteur contre le maintien en vie. Le rapporteur public du Conseil d’Etat, Rémi Keller, s’est prononcé contre le maintien en vie de Vincent Lambert. Le rapporteur infirme donc la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, mais le Conseil d’Etat ne rend pas pour autant sa décision dans la foulée. La plus haute juridiction administrative française se réunit en assemblée du contentieux (la formation adoptée pour les affaires les plus remarquables, qui réunit 17 membres) et rendra son jugement le 24 juin à 16 heures.
Et après ? Deux scénarios sont possibles, quelle que soit la décision du Conseil d’Etat. Soit la partie qui n’a pas obtenu satisfaction accepte la décision finale, soit elle peut encore porter l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme puisqu’elle aura épuisé toutes les voies de recours. A noter cependant, la saisine de la CEDH n’est pas suspensive dans la plupart des cas. En clair, si le Conseil d’Etat confirme l’avis rendu par son rapporteur, les proches de Vincent Lambert favorables à l’arrêt des soins pourront demander la fin du traitement avant même que la Cour Européenne rende son jugement.
A L’HÔPITAL - Vincent Lambert : l'inquiétude des médecins
INTERVIEW E1 - Fin de vie : Touraine veut "faire évoluer le cadre législatif"
SANTÉ - Vincent Lambert : un rapport confirme son incurabilité
LES FAITS - Vincent Lambert : le Conseil d'Etat nomme trois experts
LES FAITS - Vincent Lambert a des lésions cérébrales "irréversibles"
INTERVIEW E1 - Vincent Lambert "n'aurait pas voulu vivre comme ça"
ENQUÊTE E1 - Dans la chambre de Vincent Lambert, au cœur des tensions