Après "Je suis Charlie", "je suis sur écoute" ? Le projet de loi sur le renseignement, débattu depuis lundi à l'Assemblée nationale, vise à encadrer les pratiques des agents du renseignement et à améliorer leurs moyens de surveillance, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Un texte qui soulève une vague d'opposition chez différents acteurs, qu'ils soient politiques, associatifs, ou même étatique.
Devant l'Assemblée… "Non à la surveillance de masse", c'est sous cette bannière qu'un rassemblement d'opposants s'est tenu lundi, au premier jour d'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale. Ils étaient plusieurs dizaines à s'être réunis à quelques pas du palais Bourbon à l'appel de plusieurs associations regroupées dans "l'Observatoire des libertés et du numérique". Parmi elles, le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France, Amnesty International, Attac, la Ligue des droits de l'Homme, la SNJ-CGT, SNJ, Solidaires, la Quadrature du net ou Droit au Logement.
Les manifestants, arborant le symbole d'un œil barré d'une croix, ont dénoncé "un texte présenté à tort comme une loi antiterroriste (...) qui donne aux services de renseignement des pouvoirs de surveillance massifs sans contrôle réel" et le "choix de la procédure d'urgence". La députée écologiste Cécile Duflot s'était notamment jointe à eux, estimant que ce texte "touche au sens même de la constitution" alors que "tout pouvoir a été donné à l'autorité administrative et au Premier ministre".
…dans l'Hémicycle… L'ancienne ministre du Logement n'est toutefois pas la seule politique à marquer son opposition. Dans l'Hémicycle, la grogne monte aussi. Lors des débats, plusieurs élus UMP, comme Patrick Hetzel, Patrick Devedjian, Claude Goasguen, Lionel Tardy ou Pierre Lellouche ont évoqué un texte potentiellement "liberticide" s'il est "mal utilisé". Pour l'ancien ministre de la Défense UDI Hervé Morin, "le champ d'application est beaucoup trop large, il couvre la totalité de la vie de la collectivité nationale". La députée FN Marion Maréchal-Le Pen assure qu'elle ne peut "expliquer aux Français que leur sécurité se fera au prix de leur liberté".
Plusieurs membres de l'aile gauche du PS, comme Pascal Cherki, ou des écologistes, comme Sergio Coronado se sont également inquiétés du "flou" d'une mission comme "la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France".
…et au sein même de l'appareil d’État. La conseillère d’État et présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), Isabelle Falque-Pierrotin, faisait part lundi, sur Europe 1, de son regard critique sur cette proposition de loi. "En l'état, ce texte n'est pas assorti de garanties suffisantes et porte donc, potentiellement, atteinte aux libertés", mettait-elle en garde. "Au niveau de la Cnil, nous avons identifié que ces nouveaux outils peuvent être mis en place pour des finalités extrêmement larges", pointait encore la présidente de la Cnil, insistant sur le fait que des finalités autres que le terrorisme avaient été retenues parmi les sept motifs justifiant d'engager une surveillance.
D'autres autorités administratives ont également pris leurs distances avec cette proposition. C'est le cas du Conseil national du numérique (CNNum) qui s'inquiète dans un communiqué de l'introduction des fameuses "boîtes noires" installées chez les fournisseurs d'accès internet (FAI), au centre du débat sur la "surveillance de masse". Une crainte partagée d'ailleurs par le "gendarme des écoutes", Jean-Marie Delarue, le président de la Commission nationale des interceptions de sécurité (CNCIS), qui qualifie ces pratiques de "pêche au chalut". Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a quant à lui fait part à plusieurs reprises lundi de ses "réserves sur certains points majeurs du texte".
Dans la société civile : une pétition, 65.000 signatures. La société civile, elle aussi, compte son lot d'opposants à ce projet de loi. En témoigne une pétition adressée au Premier ministre Manuel Valls qui a su réunir plus de 65.000 signatures en six jours. Intitulée "Retirez le projet de Loi Renseignement : c'est un Big Brother français", elle est l'œuvre d'un politologue et d'une consultante en communication.
Chez les acteurs d'Internet aussi. Délocaliser : c'est la menace brandie par les plus grands hébergeurs français -dont l'activité consiste à "héberger" les sites web de n'importe quelle origine sur des serveurs- si le projet de loi est adopté en l’état. Selon ces professionnels du numérique, la loi va leur faire perdre des clients. Et c'est encore une fois la "boîte noire" créé pour détecter des comportements suspects et installées directement chez les opérateurs qui fait débat. Une dispostion qui pourrait faire fuir les entreprises qui veulent que leurs emails, documents et travaux en ligne ne soient visibles que par elles-mêmes, selon ces professionnels.
Toutefois, malgré ses nombreuse voix qui s'élèvent, l'adoption du texte, qui sera débattu jusque jeudi et voté le 5 mai, ne fait aucun doute.
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