Avec le 14e règlement de comptes survenu jeudi dans les quartiers nord de Marseille, le gouvernement semble déterminé à enrayer la série noire. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a d'ailleurs convoqué un comité interministériel sur la situation à Marseille. Il sera consacré à l'élaboration d'un "programme d'action pour l'agglomération marseillaise" et devrait se tenir la semaine prochaine.
Avec déjà une certitude : l'armée n'interviendra pas à Marseille. La proposition de l'élue socialiste Samia Ghali a été écartée jeudi par Manuel Valls puis par François Hollande. Pour le président de la République, la lutte contre la criminalité relève de la police et de la justice.
Ces dernières années, politiques et spécialistes ont proposé des solutions pour réduire le trafic de drogue et la délinquance dans les quartiers sensibles. Europe1.fr revient sur la faisabilité de ces mesures.
Faire intervenir les casques bleus. La proposition a été faite en juin 2011 par Stéphane Gatignon. A l'époque, le maire EELV de Sevran avait demandé l'arrivée d'une force d'interposition de type casques bleus de l'ONU pour mettre fin aux règlements de comptes liés au trafic de drogue dans sa ville. Le mois de juin 2011 avait en effet été émaillé d'incidents, des bus avaient été brûlés et un règlement de comptes avait causé la mort d'une personne.
Mais selon Thierry Colombié, spécialiste de la délinquance économique et financière et du grand banditisme en France, cette solution est "absurde". "Avant d'intervenir, il faut connaître le terrain. Les politiques se contentent de faire des propositions qui constituent seulement des réponses immédiates. Ils s'embourbent dans le 'tout sécuritaire' sans apporter de solutions adaptées au terrain", déplore l'expert, interrogé par Europe1.fr.
Même son de cloche du côté de Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste des questions de délinquance. "Faire intervenir l'armée ? Et après ? Pendant combien de temps ? Une semaine, un mois, un an ? C’est une réaction émotionnelle et un aveu d’impuissance. À quoi cela servirait-il ? À rendre les choses moins visibles, c’est tout", estime-t-il. Le chercheur déplore également la vision à court terme des autorités publiques. Selon lui, mobiliser des forces de l'ordre "quand ça chauffe" ne règle absolument rien, puisqu'une fois ces renforts partis le trafic et les homicides reprennent de plus belle.
Légaliser le cannabis. Afin de couper court au marché noir et aux réseaux mafieux, Stéphane Gatignon et Serge Supersac, policier à la retraite, proposent par ailleurs dans un ouvrage intitulé Pour en finir avec les dealers, de dépénaliser le cannabis. Les deux auteurs envisagent ainsi de mettre fin aux poursuites des consommateurs et même d’organiser au niveau de l’Etat la production et la distribution de cannabis.
Selon Thierry Colombié, "la France ne connaît pas suffisamment les réseaux de trafic de drogue" pour reprendre la main dessus. "Il faut se poser la question de savoir si la fin du trafic dans les cités a une incidence sur la paix sociale. En partie oui". La dépénalisation du cannabis entraînerait en effet une baisse des contrôles des petits dealers. "Cela permettrait également d'éviter la surpopulation carcérale. Il faut savoir que trois quarts des détenus sont liés au trafic de drogue", rappelle-t-il.
Détruire certaines barres d'immeuble. Cette proposition a été évoquée en avril dernier par Alain Gardère, le préfet de police de Marseille. Selon lui, la destruction pure et simple des barres d'immeuble dans les quartiers Nord de la ville permettrait de faciliter la surveillance policière. "Il y a un vrai problème lié à l'architecture de certaines cités, confirme un magistrat spécialisé. Avec des passerelles, des coursives, qui rendent toute surveillance policière impossible et les interventions périlleuses", estime-t-il.
"Détruire une barre d'immeuble ne résout pas le problème puisque la façon dont s'organise le trafic reste inconnue des pouvoirs publics. Sans véritable connaissance du milieu, toutes ces mesures resteront inefficaces", répond Thierry Colombié.
Selon le chercheur, seuls les acteurs du grand banditisme sont capables de gérer la paix sociale dans les quartiers. "Aujourd'hui, ils n'interviennent pas pour mettre un terme à ces règlements de comptes en série pour des raisons qui leur sont propres. Ils laissent volontairement pourrir la situation dans l'attente que l'Etat vienne leur demander de l'aide. L'occasion pour eux de réclamer, en échange, des solutions à leurs petits problèmes", avance-t-il. Alain Bauer dit même les choses encore plus clairement : "S'il faut pacifier provisoirement la situation et la rendre moins visible, il faut organiser une sorte de sommet des criminels."