HUMAN BOMB. Le 13 mai 1993 à 9h27, un homme encagoulé, le visage dissimulé sous un casque de motard, interrompt la matinée tranquille de la classe de maternelle N8 du groupe scolaire Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il se fait appeler "HB" pour "human bomb". L'homme, armé d'un revolver et d'explosifs, retient vingt enfants ainsi que leur institutrice en otage. Il réclame 100 millions de francs. Au bout de deux jours, le 15 mai, il est abattu par les tireurs d'élite du Raid. Derrière "HB", Erick Schmitt, un informaticien de 42 ans, au chômage et dépressif. Vingt ans plus tard, certains des protagonistes de l'affaire reviennent sur ce fait divers qui a tenu la France en haleine pendant 46 heures. Une prise d'otages à l'issue heureuse mais qui a cependant laissé un goût amer à certains acteurs.
"La page est tournée". Parmi les 21 jeunes enfants retenus dans l'école maternelle, figurait la fille de Juliette, alors âgée de trois ans et demi. "La page est tournée", assure-t-elle. Aujourd'hui, sa fille, actuellement étudiante en marketing, "va bien" et "n'a eu aucune séquelle". Catherine Ferracci est, quant à elle, un des médecins qui s'étaient rendus dans la classe pour s'occuper des enfants. "C'est un événement de ma vie, mais je ne l'ai pas vécu comme un drame personnel", confie-t-elle aujourd'hui avant de préciser : "j'ai eu la chance d'être écoutée par mes collègues, pendant et après. Pour d'autres, comme l'enseignante, cela n'a pas été le cas..."
Une institutrice livrée à elle même. Laurence Dreyfus, l'institutrice, a en effet raconté ses angoisses et frustrations dans un livre (Chroniques d'une prise d'otages) publié 1998. Elle y déplorait de n'avoir bénéficié d'aucun suivi psychologique après l'épreuve qu'elle venait de vivre. "La prise d'otages se termine, un pompier me dépose chez moi et tout est fini...", écrivait-elle.
Portrait de HB au JT de France 2, le 15/05/93 :
Le "show" Sarkozy, les manœuvres de Pasqua... Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur à l'époque, envoie le procureur de Nanterre pour parlementer les yeux dans les yeux avec HB. Le premier flic de France veut alors écarter du terrain Nicolas Sarkozy, le jeune maire de la ville huppée et ministre du Budget. Plus tôt, il s'est improvisé en médiateur pour faire libérer des enfants.
Interview de Nicolas Sarkozy, maire de Neuilly :
"Sarkozy était le maire de la ville, il n'était pas encore très connu et c'était dans son tempérament : toutes les conditions étaient réunies pour qu'il fasse un petit show, mais je ne voulais pas qu'il interfère dans l'action du Raid", justifie Pasqua, rappelant que "la situation était très préoccupante et prégnante".
… et au milieu, le Raid. Pour Jean-Claude Borel-Garin, alors patron adjoint du Raid, unité d'élite de la police, "la règle est claire : pas de personnalités gouvernementales sur le terrain". Trop risqué. Une radio, une télé, de l'argent, de la nourriture... HB voit certaines de ses exigences satisfaites. Il relâche alors quinze enfants la première journée, le jeudi. Mais le lendemain, six fillettes sont toujours otages. Les heures passent et la situation s'enlise. Gérant la crise depuis la place Beauvau, Charles Pasqua donne le feu vert pour l'opération finale. Human Bomb sera abattu tôt le samedi de trois balles dans la tête. Les enfants sont sains et saufs.
Récit de l'assaut du Raid au JT de France 2, le 15/05/13
Très vite, la polémique. D'emblée, on salue le courage de Nicolas Sarkozy et des policiers. Mais dans les semaines qui suivent, la polémique éclate. Le procureur, qui dormait chez lui lors de l'assaut, se fend d'un communiqué dans lequel il regrette de ne pas avoir été associé à la décision finale. Le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, dénonce une "mort hors-la-loi". Y a-t-il eu légitime défense, comme le soutient la police, ou "HB" a-t-il été tué dans son sommeil? "Il a ouvert un oeil, j'ai tiré... Et si c'était à refaire je le referais", répond très simplement 20 ans après Daniel Boulanger, le tireur du Raid. "Nous étions en permanence en état de légitime défense. Tout pouvait sauter à n'importe quel moment", justifie Jean-Claude Borel-Garin, numéro 2 du Raid de 1990 à 1994, qui a donné l'assaut.
Des policiers toujours amers. Une plainte contre X est déposée par la famille d'Erick Schmitt, qui aboutit à un non-lieu. Lors de l'enquête, les deux policiers seront cités comme témoins assistés, leurs noms étalés dans les journaux. "La prise d'otages, ça m'a pourri la vie", lâche Daniel Boulanger. Après les événements, le policier passe "deux ou trois ans au placard" avant d'être promu chef de la 1ère section intervention, jusqu'à la retraite. "Mais l'amertume, elle est restée", confie-t-il, estimant avoir été "lâché par sa hiérarchie".
Pour Jean-Claude Borel-Garin, après la polémique, "on sent le soufre", "le succès mondial est devenu infamant". "Même blanchi, votre honneur est entaché. C'était la première fois que le Raid abattait quelqu'un", souligne le policier, actuel directeur départemental de la sécurité publique de Gironde. Aujourd'hui encore, il regrette que "l'Intérieur ne capitalise pas l'expérience des anciens dirigeants du Raid" qui, selon lui, auraient pu être utile dans l'affaire Merah, le "tueur au scooter", abattu par le Raid en 2012 à Toulouse après avoir assassiné sept personnes dont trois enfants juifs.