La France viole-t-elle la dignité humaine en autorisant la réclusion à perpétuité incompressible ? La Cour européenne des droits de l'Homme doit répondre jeudi à cette question, posée par le tueur Pierre Bodein, plus connu sous le surnom de "Pierrot le fou".
Qu’est-ce-que la perpétuité incompressible ?
Lorsqu’une personne est condamnée, en France, à la réclusion à perpétuité, sa peine est en général assortie d’une période de sûreté, pouvant allant jusqu’à 22 ans, ou 30 ans pour certains meurtres d’enfants. Mais la loi prévoit, depuis 1994 une période de sûreté illimitée.
Pour que cette peine soit prononcée, il faut des faits précis : un meurtre particulièrement violent d'un mineur de moins de quinze ans, ou d'une personne dépositaire de l'autorité publique, comme un policier ou un gendarme.
En 2007, "Pierrot le fou" était devenu le premier à être condamné à cette sentence en France. Pierre Bodein, aujourd'hui âgé de 66 ans et détenu à la prison de Moulins (Allier), a été reconnu coupable de trois meurtres particulièrement violents commis en 2004, dont celui d'une enfant de 10 ans. Précisément le genre d'affaires à l’issue desquelles cette lourde condamnation est prononcée.
Depuis, la perpétuité réelle n'a été prononcée que pour trois autres criminels, dont le tueur en série Michel Fourniret.
Pourquoi "Pierrot le fou" porte ce point devant les juges de Strasbourg ?
Pour ces condamnés, la perspective d'un aménagement de peine ou d’une libération conditionnelle à l'issue de la période de sûreté n’existe pas.
C'est cette absence d'espoir de sortir un jour de prison que pointe Pierre Bodein dans sa requête devant les juges de Strasbourg. Il estime qu'il s'agit d'une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants.
En raison de l’absence d’aménagement de peine ou de libération conditionnelle, cette peine incompressible rencontre une certaine opposition, certains la qualifiant de peine de mort différée. "Ce sont des peines radicales, qui sont en quelque sorte des substituts à la peine de mort", car "au bout du compte, les gens meurent en prison", a estimé le magistrat et essayiste Denis Salas. “La dangerosité d'un condamné doit pouvoir être réévaluée pendant la peine, pas au bout de 30 ans. Quel sens a la réinsertion après une telle durée?", interroge-t-il.
Cette requête a-t-elle une chance d’aboutir ?
En 2013, la CEDH avait donné gain de cause à des condamnés britanniques, qui remettaient en cause les peines incompressibles telles que pratiquées au Royaume-Uni. La Cour avait alors estimé que ces peines étaient assimilables à un "traitement dégradant". Mais cela ne signifie pas que Pierre Bodein obtiendra une condamnation de la France.
La Cour avait en effet laissé une porte ouverte dans son arrêt, en ne rejetant pas les peines à perpétuité, à condition de laisser une "possibilité de réexamen". Dans les observations transmises à la CEDH, la France fait justement valoir qu'elle a maintenu des "mécanismes juridiques" permettant de remettre en cause une peine incompressible, "sous certaines conditions".
Après trente ans d'incarcération, un condamné à la perpétuité réelle peut ainsi solliciter une libération conditionnelle. Un tribunal d'application des peines, éclairé d'une expertise psychiatrique par un collège d'experts, examine alors la demande. La CEDH dira jeudi à 10 heures si cette lueur d'espoir est suffisante.
Si Pierre Bodein obtenait gain de cause, cela impliquerait simplement que la France lui permette "d'obtenir un réexamen de la pertinence de son maintien en détention" et ce, "pas forcément immédiatement", estime Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux (Credof).
Quelle est l’autre requête déposée par Pierre Bodein ?
Les juges de Strasbourg devront aussi examiner un autre grief, plus technique, soulevé par Pierre Bodein : l'absence de motivation de l'arrêt de la cour d'assises en appel à son encontre. Si la Cour lui donnait raison sur ce point, la possibilité d'un nouveau procès s'ouvrirait. C'est justement avec cet argument que Maurice Agnelet avait obtenu une condamnation de la France en 2013 pour procès "inéquitable". Ce qui lui avait permis d'avoir un nouveau procès pour le meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux.
>> LIRE AUSSI - Maurice Agnelet se pourvoit en cassation