C’est grâce à son patron que Lilian Lepère a pu échapper aux deux terroristes. Michel Catalano qui les aperçoit en premier, armés, dit à son employé d’aller se cacher. Le jeune homme monte alors au premier étage tandis que les Kouachi sont encore en bas, à l’accueil. "Je vais dans le réfectoire, me cacher sous l’évier. Le fameux évier qui m’a porté chance ce jour-là."
"On ne pense pas à faire le héros". Le graphiste n’est pas "tétanisé", mais "un peu stressé". Plié sous l’évier, il a surtout du mal à réaliser ce qu’il est en train de vivre : "On se dit que ce n’est pas réel, on a du mal à y croire", rapporte-t-il. "On ne pense pas à s’échapper, on ne pense pas à faire le héros." "On a trouvé une cachette, on écoute ce qu’il se passe dehors pour savoir comment ça se déroule parce qu’il y avait quand même d’autres personnes qui étaient là, en l’occurrence mon patron."
"On savait que c’était eux". Lilian Lepère avait suivi de près les informations. Tous à l'imprimerie savaient que les deux auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo étaient dans le secteur. Quand son patron est "remonté, il nous a dit qu’ils avaient deux kalachnikovs".
Huit heures et demie recroquevillé sous l’évier. 90 cm par 70 cm par 50 de profondeur, c’est la taille de l’évier. Dans cet espace "très très confiné", Lilian se planque "en position fœtale" durant plus de huit heures. "Le moindre mouvement fait du bruit, on fait le plus doux possible." Le meuble est accolé à un mur mitoyen qui donne directement sur le bureau de son directeur... où sont retranchés les frères Kouachi. Au moindre mouvement, au moindre bruit, l’employé pouvait être découvert : "Un stress permanent". Dans cette cachette, "jusqu'à ce que j’ai pu reprendre contact avec les autorités extérieures, je n’ai pas eu de notion de temps. [...] Le temps passe très très lentement et on espère qu’une chose, c’est que ça passe très très vite."
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"Il a bu de l’eau juste au-dessus de ma tête". Après être passé deux fois dans la pièce, "l’un est venu boire de l’eau juste au-dessus de ma tête." "Il a ouvert le robinet, bu son coup d’eau. S’il s’était essuyé les mains et avait pris la serviette tendue sur la porte qui me cachait, cela aurait ouvert la porte… Et voilà, j’étais dedans." Un moment terrible : "Tout se coupe. Le cerveau s’arrête de penser, la respiration s’arrête de fonctionner. Le cœur s’arrête de battre. On arrête tout et on espère qu’il va partir très vite."
Renseigne la police. Durant cette journée, il a cru que son directeur et son chef d'atelier étaient morts : "Un peu plus tard dans la journée, j’ai entendu des coups de feu secs, je pensais qu’ils les avaient tués. [... ]On se sent encore plus seul." Pour autant, le jeune homme fait preuve d’un sang froid impressionnant et utilise son téléphone portable pour informer sa famille par sms. "Le fait de savoir que j’étais caché les a un peu rassuré, même si l’épreuve est toujours là, mais il n’y a pas le temps pour rassurer." Ce sont ses proches qui assurent l’intermédiaire avec le GIGN et transmettent les précieuses informations à la police. Aux forces de l'ordre qui demandent "si je les entends, si je peux donner leur position", Lilian Lepère renseigne la position des deux frères dans le bâtiment. "J’essayais d’être le plus précis possible", se souvient-il.
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"Chanceux" que les Kouachi n'aient pas vu la télé. Selon lui, les frères n’écoutaient ni ne regardaient les médias. "J’ai été plutôt chanceux qu’ils n’aient pas été tenus au courant des informations", estime le jeune graphiste qui fait référence "à certains médias qui apparemment auraient diffusé comme quoi il y avait un otage caché". Mais heureusement, les Kouachi "pensaient avoir relâché la seule personne qu’ils avaient le matin."
"Enfin", l'assaut. Les forces de l'ordre ne le préviennent pas qu’elles passent à l’assaut, "pour des raisons de sécurité", selon Lilian Lepère : "si jamais j’étais tombé aux mains des ravisseurs". Ce moment de l’assaut où les frères Kouachi seront abattus, pour lui, ce sont d’abord "des sons, des odeurs. On ressent des déflagrations, le meuble a bougé, les portes se sont ouvertes, tout est tombé autour de moi. Une odeur très forte, que je ne pourrai décrire car c’est la première fois que je sentais une odeur d’explosion. [...] La fusillade autour." Pour le graphiste, c'est la libération. "A la première détonation, je me suis dit "enfin".", confie-t-il, encore éprouvé par cette épreuve "surréaliste".