L'affaire tombe au plus mauvais moment pour Muriel Pénicaud. Alors qu'elle s'attelle actuellement à défendre le projet de loi d'habilitation à réformer le droit du travail par ordonnances - mesure phare d'Emmanuel Macron pendant sa campagne - l'épineux épisode de la "French Tech Night" lui colle à la peau depuis plusieurs jours. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Qui est impliqué, et où en sont les enquêteurs ?
Que s'est-il passé lors de la nuit de la French Tech le 6 janvier 2016 ?
Alors ministre de l'Économie, Emmanuel Macron passe deux jours à Las Vegas pour défendre les couleurs françaises à l'occasion du Salon mondial de l'électronique (le "Consumer Electronics Show", communément appelé "CES"). Le 6 janvier 2016, une grande soirée, la "French Tech Night", doit réunir le ministre et des dirigeants de start-up françaises. Trois semaines avant, l'organisation est confiée, à la hâte, à Havas, géant mondial de la communication et de la publicité, par Business France, l'organisme de promotion des entreprises françaises à l'étranger, rattaché à Bercy.
Or, aucun appel d'offre n'est lancé, affirme Le Canard Enchaîné, qui a révélé l'affaire en mars dernier. Et c'est là que ça coince. Ne pas lancer d'appel d'offre est illégal, selon l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, à laquelle est soumis Business France en tant qu'établissement public à caractère industriel et commercial. En clair, il pourrait s'agir là d'une violation des règles de mise en concurrence.
Cette "opération séduction", comme la décrit le journal, aurait été montée "à la demande expresse du cabinet du ministre" de l'Economie. Des éléments d'un audit réalisé par le cabinet d'audit EY (ex-Ernst & Young), que Libération s'est procuré, "ne laissent aucun doute sur l'implication du cabinet du ministre de l'Économie" de l'époque, estime le quotidien.
Par ailleurs, selon Le Canard enchaîné, le coût de l'opération aurait été de 381.759 euros, dont 100.000 euros pour les seuls frais d'hôtel.
Pourquoi le nom de la ministre du Travail est-il cité ?
À l'époque, Muriel Pénicaud dirige l'entreprise Business France, une fonction qu'elle occupe pendant trois années. Interrogée par Le Canard, le 8 mars, elle s'était défendue sans nier formellement les possibles irrégularités légales. "Le cabinet de Macron nous a demandés à la mi-décembre d'organiser en catastrophe la manifestation trois semaines plus tard. Le délai était intenable", explique-t-elle alors.
Selon Libération, mercredi, l'actuelle ministre du Travail aurait en fait "validé" certaines dépenses relatives à l'organisation de cette fameuse soirée. Le quotidien affirme par ailleurs que Muriel Pénicaud aurait ensuite tenté d'étouffer l'affaire.
Mercredi matin, la ministre du Travail réfute, mais reconnaît "une erreur de procédure". Mais comme elle l'avait fait au moment de la révélation de l'affaire, Muriel Pénicaud rappelle que c'était elle qui avait "immédiatement déclenché un audit, interne et externe", au moment où elle avait constaté des "irrégularités" sur les frais engagés par Business France. "Il y a eu ensuite une inspection générale qui a confirmé qu'effectivement il y avait eu erreur et que d'autre part j'avais pris les bonnes mesures. Rien d'autre à dire", a-t-elle balayé.
Où en est l'enquête ?
Le 13 mars dernier, suite à la publication d'un rapport de l'Inspection générale des finances, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour "favoritisme, complicité et recel de favoritisme".
Mardi 20 juin, Europe 1 révèle que des perquisitions ont été menées dans les locaux de l'entreprise Havas et de l'agence nationale Business France, le matin même, par les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions (OCLCIFF). Depuis, l'enquête préliminaire se poursuit. À ce stade, elle ne vise pas directement Emmanuel Macron. Michel Sapin avait de son côté affirmé au printemps que son prédécesseur était "totalement hors de cause".
Comment réagit la classe politique ?
Au moment où l'affaire sort dans la presse, plusieurs responsables politiques appellent directement Muriel Pénicaud à la démission. Parlant de "Bérézina", le vice-président du FN Florian Philippot estime, le 21 juin, que Muriel Pénicaud "ne pourra pas rester puisqu'elle est elle-même citée dans l'affaire des appels d'offre de Havas". Eric Ciotti aussi monte au créneau, fustigeant le deux poids deux mesures entre cette affaire et l'affaire Fillon. "Pourquoi pour Business France, l'enquête n'a pas été conduite au mois de février, avec les mêmes moyens qui ont été déployés à l'époque contre François Fillon ?", fustige-t-il. Pourtant, Muriel Pénicaud passe sans encombre l'épreuve du remaniement.
Face aux critiques, le 21 juin, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner prend la défense de la ministre sur Europe 1. "Business France a passé un marché, une commande, il y a eu une irrégularité. Muriel Pénicaud, qui était directrice générale, a provoqué immédiatement un audit, puis une inspection générale, puis l'inspection générale a validé un accord, et c'est elle qui a donné cette information, donc je ne suis pas inquiet sur les conséquences de cette information".
Mercredi, après les révélations de Libération, Christophe Castaner reste sur son axe de défense. Plus étonnant, il demande à la presse de "ne pas chercher à affaiblir" la ministre, "dans un moment important pour la réforme du travail".