C'est le destin d'un gamin aux grands yeux clairs brisé par l'emballement judiciaire. Daniel Legrand fils croyait en avoir fini avec le cauchemar "Outreau". Pourtant, presque dix ans après son acquittement, il comparaît devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine pour des faits identiques à ceux pour lesquels il a été blanchi - en tant que majeur – et dont il doit répondre à présent pour la période où il était mineur.
Père et fils. Au coin de l'œil gauche, il s'est fait tatouer une larme à l'encre bleue. Indélébile, comme les séquelles de cet enfer lui ayant volé sa jeunesse. Lorsque l'affaire Outreau éclate en février 2001, Daniel Legrand a 19 ans et demi. L’enfant du Nord, issu d'une fratrie de cinq, est le plus jeune des 17 mis en cause dans cette affaire de pédophilie qualifiée de "désastre judiciaire sans précédent" par Jacques Chirac, alors président de la République.
Cette épreuve, il l'a traversée avec celui dont il a hérité de ce regard bleu mer : son père. Ouvrier métallurgiste dans une usine de Boulogne-sur-Mer, Daniel Legrand – les deux hommes partagent le même prénom - est aussi mêlé au scandale. Père et fils sont arrêtés le même jour, en novembre 2001, soupçonnés d'appartenir à un réseau pédophile organisant des orgies avec de nombreux enfants.
30 mois de prison, "pour rien". Tous deux ont été acquittés. En première instance, le 2 juillet 2004, pour le père, et en appel, le 1er décembre 2005, pour le fils. Tous deux ont été indemnisés par la Chancellerie, comme 11 autres personnes, elles aussi blanchies. Ils ont même reçu les "regrets et excuses" du président. Mais rien ne leur rendra les années volées par ce fiasco judiciaire, deux ans et demi passés derrière les barreaux. "Deux ans de prison pour rien", lâche Daniel Legrand fils à Europe 1.
Il y a trois ans, ayant à peine eu le temps de profiter de sa retraite, Daniel Legrand père est décédé d'un cancer, à 59 ans. "Difficile de se reconstruire, de tourner la page après la mort de mon père, qui me manque beaucoup", confie le fils. Désormais, il affronte seul les fantômes d’Outreau.
Il a acheté sa première voiture avec ses indemnités. Après avoir été innocenté, Daniel Legrand fils a tenté de reprendre sa vie d'avant. Il a été un temps agent d'entretien, entre autres petits jobs par-ci, par-là. Avec ses indemnités d'Outreau, le jeune homme à la coupe en brosse s'est offert sa première voiture, rapporte Envoyé Spécial. Et même sa première maison, pour s'installer avec sa compagne de l'époque, la mère de son petit garçon Tom, âgé aujourd'hui de quatre ans.
Les rêves brisés. La reconstruction s'avère néanmoins laborieuse pour ce gamin qui voulait devenir footballeur, raconte Libération, à l'instar de la star du ballon rond Franck Ribéry, gosse du quartier défavorisé du Chemin Vert, à Boulogne-sur-Mer. Un rêve étouffé. Alors Daniel Legrand a eu beau essayer, il a vite rangé ses crampons : "Je ne peux plus, c'est cassé. Je vis comme quelqu'un d'âgé, je n'ai plus le droit de rêver", avouait-il au quotidien en 2007.
Came et dépression. Loin des dribbles sur le gazon, il sombre dans une dépression nerveuse. Pour oublier, le jeune homme flirte avec l’héroïne. Et se met à consommer régulièrement : parfois jusqu'à un gramme par jour. "Après l'acquittement, ça m’est retombé dessus. J’étais pas bien, j’ai perdu pied", explique-t-il à Europe 1. En janvier 2007, la descente aux enfers atteint son paroxysme : Legrand fils est interpellé de retour de Belgique avec 132 grammes d'héroïne, 1 gramme de cocaïne et 22 grammes de cannabis. Sachets d'héroïne planqués dans le slip et le rectum.
Lors de son procès pour transport et importation de stupéfiants devant le tribunal correctionnel de Dunkerque, celui qui "a du mal à passer une journée sans penser à l'affaire" explique : "J'ai pensé que la drogue allait me faire oublier tout ça. J'ai perdu confiance en moi et l'héroïne, cela me redonnait confiance". Il écope d'un an de prison dont trois mois ferme, mais sera finalement dispensé de détention.
Sans emploi, il vit avec sa mère. Depuis, Legrand fils a arrêté "les conneries". Mais à bientôt 34 ans, l’homme, fragilisé, ne travaille plus. Il est passé par la psychiatrie. Sous traitement médicamenteux lourd, il vit maintenant grâce à l'allocation adulte handicapé. Ses journées, il les tue à ne pas faire grand chose sur le sofa de sa mère Nadine, chez qui il est retourné vivre après sa séparation avec la mère de son fils, il y a quelques mois. Dans ce modeste deux-pièces de Wimereux, petite commune balnéaire à moins de dix kilomètres d'Outreau, il couche sur le canapé-lit du salon.
Marqué à vie. Mardi, Daniel Legrand fils ira à son procès la tête haute, même s'il ne comprend pas bien : "On est reçus à Matignon, on est indemnisés... Et là, on me rejuge, c'est absurde. On s'acharne sur moi", proteste-t-il. Après ce dernier round judiciaire, il espère pouvoir enfin passer à autre chose. Le chemin promet d’être long pour celui qui nous glisse : "Je serai toujours une victime d’Outreau, ça me suivra jusqu’à la fin de ma vie."