Près d’un mois après les attentats, la question revient au centre des débats : que faire des "fichés S" ? Après les attaques du 13 novembre, l’opposition est montée au créneau, en proposant notamment de créer des centres de rétention pour les individus radicalisés. Laurent Wauquiez souhaite interner toutes les personnes fichées "S" dans un établissement que certains surnomment déjà le "Guantanamo à la française". Le gouvernement a transmis au Conseil d'Etat cette recommandation de prévention du terrorisme, se défendant de vouloir la mettre en place, dans un souci "d’unité nationale".
Quelle est cette proposition ? Peu après les attentats, de nombreux membres de droite ont dégainé leurs propositions sécuritaires pour muscler la lutte contre le terrorisme. Au lendemain des attentats, Laurent Wauquiez avait suggéré que "les 4.000 personnes vivant sur le territoire français, fichées pour terrorisme", soient "placées dans des centres d'internement anti-terroristes spécifiquement dédiés". "Ce ne sera pas Guantanamo, car on ne torturera pas", s'était-il défendu face aux critiques. Des membres de la gauche mais aussi de son propre camp estimaient que cette proposition s’inspirait de la prison militaire américaine controversée, située à Cuba, où sont détenues des citoyens non-américains suspectées de terrorisme.
Qui serait concerné ? Actuellement, 20.000 personnes font l’objet d’une fiche "S", selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, communiqué par Manuel Valls. Parmi eux, 10.500 sont fichés pour leur "appartenance ou leur lien avec la mouvance islamique". Rappelons que la fiche "S" est un fichier de signalement qui a pour but d’attirer l’attention des gendarmes, des policiers ou des douaniers lorsqu’ils réalisent un contrôle d’identité. Autrement dit, il s’agit d’une fiche de mise en garde, qui ne permet pas aux autorités d’enclencher une arrestation. Encore moins d’engager des procédures judiciaires.
Une mesure intenable ? La proposition d’incarcérer les individus au seul motif qu’ils sont fichés S pour radicalisation islamiste semble donc peu probable. François Hollande s’est toutefois engagé après les attentats à saisir le Conseil d'Etat afin de vérifier la légalité de cette proposition. "La loi peut-elle autoriser une privation de liberté des intéressés à titre préventif et prévoir leur rétention dans des centres prévus à cet effet ?", interroge le texte révélé par le site Lundi Matin, confirmant des informations du Monde.
Le ministère de l'Intérieur précise cependant qu'il s'agit d'une proposition de loi du député Les Républicains et que la saisie du Conseil d'Etat vise à démontrer qu'elle n'est pas réalisable. François Hollande "avait annoncé il y a plusieurs semaines que nous la présenterions au Conseil d'Etat afin de démontrer objectivement qu'elle est juridiquement intenable", a-t-on expliqué.
Les spécialistes sceptiques. Des spécialistes de l’anti-terrorisme ont déjà témoigné leur réticence face à cette mesure. L'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic estime que la mise en place de tels centres de rétention répondrait à la volonté de l’État islamique de pousser les autorités à s'en prendre à la communauté musulmane en France. "N'arrêtons pas n'importe qui ! Ne faisons pas de Guantanamo à la Française ! Restons dans nos principes tout en étant efficaces", a-t-il prévenu, contacté par La Voix du Nord.
Anne Giudicelli, spécialiste du monde arabo-musulman et directrice du cabinet de conseil Terr(o)risc, pointe, elle, l’éventuelle illégalité d’une telle mesure. "Cette idée de désigner des individus comme déjà coupables alors qu’ils ne sont même pas encore suspects, est à la limité de la légalité. À chaque attentat, on grignote davantage sur ce qui nous constitue, ce qui est ciblé par ceux qui nous en veulent", s’alarme-t-elle auprès des Echos.