C’est une affaire qui semble n’en plus finir. Près de dix ans après l’acquittement de 13 des 17 accusés de l’affaire Outreau, l’un d’eux, Daniel Legrand, sera jugé devant la cour d’assises des mineurs d’Ille-et-Vilaine. Il devra répondre des faits présumés de viols et d’agressions sexuelles sur les quatre enfants de la famille Delay, dont les parents ont reconnu avoir abusé sexuellement. Europe 1 fait le point sur ce troisième volet d’un fiasco judiciaire qui a défrayé la chronique et profondément marqué la magistrature et la société françaises.
- Pourquoi un "troisième" procès ?
Tout repose sur une finesse de procédure. En effet, le parquet avait ouvert à l'encontre du plus jeune mis en cause de l'affaire deux procédures : celles-ci concernaient les mêmes faits sur des victimes identiques, mais pour deux périodes distinctes. Or, si Daniel Legrand fils a été acquitté par la cour d’appel de Paris, le 1er décembre 2005, pour les faits de viols et d'agressions sexuelles qui auraient été commis durant sa majorité (entre 1999 et 2000), il n’a en revanche jamais été jugé pour ces faits, cette fois présumément commis à sa minorité (entre 1997 et 1999).
Ce sont un syndicat de magistrats, FO-Magistrats, et l’association de protection des enfants Innocence en danger qui ont relancé l’affaire, en juin 2013, puisque le dossier n'avait toujours pas été audiencé par l'institution judiciaire, essayant sans doute d'oublier le traumatisme d'Outreau. Innocence en danger est venue en aide à certains des fils Delay après leur majorité, mais ne s'était pas constituée partie civile aux deux premiers procès. S'inquiétant de la prescription des faits, en octobre 2013, qui aurait empêché la tenue d’un nouveau procès pour le fils Legrand, l'association a donc écrit au parquet général de Douai.
Face à cette sollicitation, le parquet général a annoncé, le 26 juin 2013, le renvoi de Daniel Legrand fils devant la cour d’assises des mineurs, conformément à une stricte application de la loi. Dès mardi, il comparaîtra pour les chefs de viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans en réunion. En l’occurrence, quatre des douze enfants reconnus victimes de viols, les garçons du couple incestueux Badaoui-Delay : Chérif dit Kevin, Dimitri, Jonathan et Dylan.
- Pour quelles raisons le procès se déroulera-t-il à Rennes ?
Dans le même temps, le procureur général de Douai, Olivier de Baynast - aujourd'hui retraité de la magistrature -, avait adressé une requête en dépaysement à la chambre criminelle de la Cour de cassation afin que le procès ait lieu dans une autre juridiction que celle de la cour d’assises de Saint-Omer, où s’est déroulé le premier des deux procès Outreau, en 2004.
Le magistrat estimait en effet que "le nombre de membres du personnel judiciaire et d'acteurs ayant connu le procès" à la cour d’assises de Saint-Omer pourrait constituer "un inconvénient par rapport à l'objectivité, à la sérénité et à l'impartialité nécessaires à un examen satisfaisant de la cause". D’autre part, Olivier de Baynast avait mis en garde sur le risque d’une nouvelle "tempête médiatique" tout en invoquant "l’émotion considérable" suscitée par cette affaire de pédophilie qui avait ternie l’image de la région Nord-Pas-de-Calais, déjà régulièrement victime de clichés.
Dans un arrêt du 23 juillet 2013, la Cour de cassation a répondu positivement à cette requête et dessaisi la cour d’assises des mineurs du Pas-de-Calais de la procédure pour la renvoyer à celle d’Ille-et-Vilaine, à Rennes.
- Qui sera présent à l'audience ?
Pendant ces trois semaines de débats, les "fantômes" d’Outreau défileront à la barre. Pas moins de 43 témoins, victimes et acquittés de l'affaire initiale, sont cités à comparaître pour ce dernier round judiciaire. Ainsi, les dix acquittés encore vivants vont devoir replonger au cœur de cette affaire qui a bouleversé leur vie. Parmi eux, Roselyne Godard, "la boulangère" d’Outreau, le prêtre ouvrier Dominique Wiel, Pierre Martel chauffeur de taxi à l’époque, ou encore l’huissier Alain Marécaux.
Le juge Fabrice Burgaud, chargé de l’instruction de l’affaire et tenu pour grande partie responsable de ce fiasco judiciaire, devrait, lui aussi, être entendu par la cour d’assises des mineurs de Rennes. Tout comme les quatre condamnés sur les 17 accusés d’Outreau, le couple Myriam Badaoui et Thierry Delay, et leur couple de voisins Aurélie Grenon et David Delplanque.
En ce qui concerne la défense, six avocats, déjà présents lors des deux procès Outreau, soutiendront Daniel Legrand fils. Parmi lesquels, le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti, Franck Berton et Julien Delarue, à ses côtés depuis le début.
- Qui sont les parties civiles dans ce procès ?
Victimes présumées de Daniel Legrand, les trois aînés des quatre fils Delay, Chérif dit Kevin, Dimitri et Jonathan, se sont constitués parties civiles. "Ils ne sont pas parties civiles pour dire que Daniel Legrand ne leur a rien fait, mais au contraire qu'il a fait partie de ceux qui, à l'époque de la minorité de l'intéressé, leur ont fait subir des sévices", a déclaré Me Lef-Forster, avocat de Chérif et Dimitri. Le troisième de la fratrie, Jonathan, défendu par Me Patrice Reviron, a assuré de sa présence à l’audience.
Par ailleurs, il est à noter qu'aucune association de défense des enfants, ayant été partie civile lors des deux procès de l'affaire Outreau, n'a souhaité se constituer partie civile aux côtés des enfants Delay dans ce procès dont d'aucuns pointent l'absurdité et l'acharnement.
- Que risque Daniel Legrand fils ?
Poursuivi pour des viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans en réunion, il encourt jusqu’à 20 ans de réclusion.