Quelles sont les raisons qui peuvent pousser la mère aimante de deux enfants à devenir, dans le secret, la meurtrière de huit de ses nouveau-nés ? Voici l'énigme au cœur du procès de Dominique Cottrez, ex-aide-soignante de 51 ans, jugée pour avoir étranglé huit de ses bébés à la naissance et conservé leurs corps, devant la cour d'assises du Nord. Un mystère qui paraît parfois élucidé à l'écoute d'un expert, avant qu'un autre ne livre une interprétation opposée. Résultat : seul le doute subsiste.
Un coup de théâtre en forme de défi aux experts. "Il faut bien une explication". La phrase, mélange d'aveu d'impuissance et de conviction frustrée, est celle d'un des experts les plus reconnus, Michel Dubec, psychiatre agréé à la Cour de cassation. Comme beaucoup, il est plongé dans la perplexité par le coup de théâtre vécu lundi, en milieu de procès.
Quelques minutes avant son passage à la barre, Dominique Cottrez, ex-aide soignante de 51 ans, a avoué ne jamais avoir été violée par son père, ni noué de relation incestueuse avec lui, faisant voler en éclat l'un des motifs avancés par les experts comme par la défense pour expliquer les infanticides. Des meurtres d'enfants découverts le 24 juillet 2010, quand deux cadavres de nourrissons avaient été retrouvés dans le jardin de l'ancienne maison des parents de l'aide-soignante, à Villers-au-Tertre, dans le Nord, puis six autres à son domicile. "Je n'ai pas d'avis absolu sur cette question de la rétractation", a déclaré, embarrassé, Roland Contanceau, autre expert psychiatre, mardi.
Une mère infanticide comme les autres ? Si tout le monde est d'accord pour dire que l'accusée ne souffre d'aucune anomalie psychiatrique, Michel Dubec estime qu'il faut rechercher chez elle "une origine traumatique dès l'enfance", qui pourrait correspondre à l'inceste malgré ses "aveux" d'affabulation. Mais pour Roland Contanceau, Dominique Cottrez n'est pas différente des autres mères infanticides, en dépit de l'ampleur inédite de ses actes, huit assassinats.
"Comme les choses n'ont pas été dévoilées, ça se répète, mais il n'y a pas de plaisir égocentrique ou diabolique", déclare-t-il. "Chaque fois, elle se prend le tapis de la même façon. Sa fragilité fait qu'elle fait les mauvais choix", explique-t-il. Dominique Cottrez a les yeux levés vers lui, plus attentive que jamais, ses 160 kilos posés sur une simple chaise.
"Faire disparaître l'enfant est plus fort". Les mères infanticides, énonce Roland Coutanceau avec une limpidité qui semble soulager toute l'assistance après la confusion de la veille, sont "très introverties, avec une grande passivité", très pudiques. Leur grossesse "n'est pas médicalisée, n'est pas socialisée. (...) L'enfant grossit physiologiquement mais il n'est pas investi comme un enfant à naître. Au fond il n'existe pas, même si ça peut nous choquer", explique le psychiatre.
La présidente Anne Segond réagit : "après toute cette passivité pendant la grossesse, il y a quand même ce sursaut terrible de violence, elle étrangle le bébé...? C'est ce temps-là qui nous occupe aujourd'hui", fait-elle remarquer. "Le poids de la folie psychique, qui fait qu'elle n'a pas pu en parler avant, l'emporte sur l'éventuel attachement à l'enfant. Le faire disparaître est plus fort", répond l'expert.
La question de l'altération du discernement. Pour la psychologue Caty Lorenzo-Regreny, l'assassinat est peut-être la traduction d'une issue non désirée de la grossesse, qui elle, serait recherchée: "l'enfant, toujours être enceinte, ça pourrait être pour elle la complétude, être entière"."Il y a quelque chose qui ne va pas, il y a un trouble psychique", s'exclame après les explications des uns et des autres Frank Berton, avocat de l'accusée.
Le diagnostic de Michel Dubec est pour lui un appui. Selon le psychiatre en effet, le discernement de Dominique Cottrez était altéré. "Elle a agi dans les tourments d'un débat intérieur fermé à toute possibilité de communication, avec une lutte avec elle-même, dans laquelle elle s'est perdue dans l'évitement d'une prise de conscience véritable", estime-t-il. Roland Coutanceau, qui n'est pas d'accord, rappelle: "on n'a pas besoin de l'altération du discernement pour juger Mme Cottrez avec compassion et intelligence."