Si tous les "revenants" de Syrie sont mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste criminelle", tous ne sont pas incarcérés.
La prison comme seul horizon. C’est en substance le discours tenu par le groupe Etat islamique aux djihadistes français désireux de quitter la Syrie pour regagner leur pays. C’est aussi le discours de certains membres de la classe politique de droite qui veulent voir derrière les barreaux tous les revenants du djihad. Mais la réalité est plus complexe. Les autorités sont confrontées à une diversité des profils, entre les revenants assoiffés de vengeance, et les désabusés de l’Etat islamique, qui pour certains se sont arrêtés à la frontière turco-syrienne. Le motif de mise en examen des ex-djihadistes est toujours le même : "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste criminelle". Ce qui n’implique pourtant pas un passage par la case prison.
Comment sont-ils judiciarisés ? Pour engager des poursuites à l’encontre d’un ressortissant français de retour de Syrie, les autorités doivent d’abord démontrer que l’individu a eu la volonté de rejoindre une organisation liée au terrorisme. Pour cela, les enquêteurs peuvent s’appuyer sur des conversations, notamment sur les réseaux sociaux, ou avec des proches. Autant d’éléments prouvant que le suspect avait conscience de regagner un groupe terroriste.
Les revenants de Syrie sont alors mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste criminelle". Pour les individus dont les projets d’attentats sont étayés par l’enquête, ces derniers sont mis en examen pour "association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme". Des qualifications qui ne font pas la différence entre les personnes qui se sont rendues en Syrie et celles qui ont renoncé au dernier moment.
Combien dénombre-t-on de revenants ? A l’heure actuelle, ces judiciarisations des revenants de Syrie concernent plus de 200 ressortissants français. Selon 20 Minutes, 315 détenus sont incarcérés en France pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme", dont 180 pour des projets de terrorisme en lien avec des filières islamistes. Seuls 25 d’entre eux avaient déjà fait de la prison précédemment. Un chiffre peu élevé au regard des 66.000 prisonniers dans l’Hexagone.
Incarcérés ou remis en liberté ? Si dans la grande majorité des cas, les individus revenants de Syrie sont placés en détention en attendant leur procès, certains échappent à la case prison, et bénéficient d’un placement sous contrôle judiciaire. Celui-ci peut être plus ou moins strict, avec par exemple une assignation à résidence, un bracelet électronique, ou encore une obligation de pointer plusieurs fois par semaine au commissariat.
Quelles étaient leurs motivations ? Il existe autant de motifs de remise en liberté que de profils. Les juges des libertés et de la détention passent au crible tout le parcours du suspect. L’une des premières questions à laquelle ils doivent répondre est de savoir si l’individu avait des motivations "humanitaires" ou "guerrières". "Il faut admettre qu’il y a des gens qui ne pensent pas comme nous. Pour beaucoup de mes clients, les informations télévisées sont présentées par des gens qui camouflent la réalité. Quand on leur demande s’ils n’ont pas vu les informations décrivant la violence de l’EI, ils répondent : ‘Oui, et alors ? Vous croyez tout ce qui est dit ?’", rapporte Me David Apelbaum, conseil d’ex-djihadistes toujours incarcérés, contacté par Le Monde.
Qu’est-ce-que la dangerosité ? L’autre question subjective à laquelle doivent répondre les juges est le degré de dangerosité des suspects. Le rapport de la commission parlementaire sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, remis en juin dernier, souligne la diversité des profils et considère que le danger qu’ils peuvent représenter est "particulièrement difficile à évaluer". Les "revenants" de Syrie doivent notamment prouver qu’ils se sont éloignés des thèses djihadistes. Et qu’ils n’ont plus de contact avec des membres de l’Etat islamique.
Les magistrats attachent également de l’importance au casier judiciaire vierge des suspects. Ils prennent aussi en compte leur situation familiale et professionnelle : sont-ils mariés ? Ont-ils des enfants ? Ont-ils un travail stable ? Autant d’éléments qui vont en faveur d’un placement sous contrôle judiciaire.
L’importance du suivi psychologique. Dans certains cas, notamment concernant les profils des désabusés, ces remises en liberté doivent s’accompagner d’un suivi psychiatrique. Selon Louis Crocq, psychiatre spécialiste des traumatismes psychologiques et créateur des cellules d’urgence médico-psychologiques, les repentis sont des "traumatisés qui ont vu la mort de très près. Soit en tant que victimes des bombardements, soit témoins des exactions, ou quelquefois forcés, presque acteurs".
En février dernier, dans le documentaire de France 5 Engrenages, les jeunes face à l’islam, Bernard Cazeneuve estimait déjà que les suivis judiciaires devaient se coupler à un suivi psychologique. "Ces personnes justifient une prise en charge très lourde, pour laquelle nous ne sommes pas préparés, […] pour reconstruire des personnes détruites physiquement et psychologiquement", estimait le ministre de l’Intérieur, rappelle Slate.
Placés dans des centres fermés ? Plus récemment, le gouvernement a annoncé la création de structures de déradicalisation, l’une "fermée" à destination des djihadistes de retour de Syrie. Le but de ce centre est notamment d’amorcer un processus de déradicalisation pour ramener ces individus sur la voie de la réinsertion. Cette structure centre se rapproche du fonctionnement des centres fermés, dans le sens où il constitue "un dispositif complémentaire et intermédiaire entre les solutions classiques de placement et l'incarcération".