Elle était la première d'un trio funeste. Tatiana Andujar est depuis mardi la dernière des "disparues de la gare de Perpignan", la seule dont le corps n'a pas été retrouvé et dont la mort reste encore inexpliquée. Près de vingt ans après les faits, une grande partie du voile qui entourait cette énigme criminelle s'est en effet levée avec les derniers aveux de Jacques Rançon. Ce délinquant sexuel récidiviste, interpellé en octobre dernier à la faveur de nouvelles expertises ADN, avait alors rapidement reconnu être l'auteur du meurtre de Mokhatria Chaïb. Mardi, ce dernier a avoué un second assassinat, celui de Marie-Hélène Gonzalez. Deux jeunes femmes dont les corps ont été retrouvés affreusement mutilés en 1997 et 1998, près de la gare.
Reste le cas de Tatiana, disparue à la sortie de cette même gare, deux ans plus tôt. Si Jacques Rançon ne peut pas être inquiété dans ce dossier, l'espoir de résoudre cette dernière affaire ne meurt pas pour autant. "Il y a eu des auditions dans le dossier de Tatiana il y a encore quelques mois", confie à Europe 1 l'avocat des familles des victimes.
Tatiana, la première et dernière des disparues de la gare. Tatiana Andujar, lycéenne de 17 ans aux cheveux noirs, disparaît dans la soirée du 25 septembre 1995. Ce soir-là, elle arrive en gare de Perpignan par le train de Toulouse. La jeune femme décide de faire de l’auto-stop pour rejoindre le village de ses parents dans les environs de la cité catalane. Tatiana n'arrivera jamais à destination. Les enquêteurs pensent alors à une fugue. Elle n'a plus jamais donné signe de vie.
Deux ans plus tard, le corps de Mokhtaria Chaïb est retrouvé à 500 mètres du point d’auto-stop choisi par Tatiana. Mokhtaria et Tatiana, deux jolies brunes au destin tragique : l'affaire des disparues de la gare est née. Dans la ville de Perpignan, la psychose d'un tueur en série grandit. Une troisième disparition vient l'alimenter quelques mois plus tard : celle de Marie-Hélène Gonzalez, dont le corps est découvert sur un terrain vague dans ce même secteur.
La piste Jacques Rançon écartée d'office. Jacques Rançon, ce tueur en série présumé qui aimait "partir la nuit du côté de la gare pour s'aérer la tête", dixit son ex-compagne, peut-il avoir croisé le chemin de Tatiana en 1995 ? La question en a évidemment effleuré plus d'un, à commencer par les enquêteurs de la PJ de Perpignan.
Or, la réponse est simple : une telle rencontre est impossible. Condamné en 1994 pour viol sur sa compagne de l'époque, l'homme purge alors une peine de huit ans de réclusion. Ce n'est qu'à sa sortie de prison, en 1997, que Jacques Rançon, demeurant jusqu'alors en Picardie, vient s’installer à Perpignan.
"Les enquêteurs ont décidé de réexploiter toutes les pistes". Pour autant, la mort dans l'œuf de la piste Rançon ne met pas fin aux espoirs dans l'enquête sur la disparition de Tatiana. "Le fait que deux affaires aient été aujourd'hui élucidées, permettra aux enquêteurs de concentrer leurs efforts sur cette dernière", confie à Europe 1 Me Etienne Nicolau, avocat de l'ensemble des familles des disparues de la gare.
"C'est peu connu mais du point de vue de la procédure, il n'y avait pas qu'un seul dossier pour l'ensemble des disparues de la gare. Il y avait un dossier concernant la disparition de Tatiana, un dossier différent concernant l'assassinat de Mokhtaria, puis un autre dossier pour celui de Marie-Hélène", explique-t-il. "Et depuis 20 ans, les investigations sont constantes et elles n'ont jamais cessé, sur aucun des dossiers", assure l'avocat. "A la suite des aveux de Jacques Rançon, les enquêteurs - ils me l'ont dit - ont décidé d'exploiter à nouveau toutes les pistes", révèle Me Nicolau.
La quatrième disparue et la piste Marc Delpech. Toutes les pistes, c'est aussi celle d'un certain Marc Delpech. Cet homme a été condamné en 2004 à 30 ans de réclusion criminelle pour le viol et le meurtre d'une jeune femme, Fatima Idrahou, disparue à Perpignan en 2001. Fatima, cette belle étudiante aux cheveux noirs, est un temps considérée comme la quatrième disparue de Perpignan. Amoureux éconduit, Marc Delpech est interpellé onze jours plus tard. Il avoue le meurtre et, plus tard, le viol de la jeune femme qui a toujours repoussé ses avances. Le corps de Fatima sera, quant à lui, découvert enfoui dans le sable au bord d'un étang de la région. Il ne sera jamais mis en cause dans l'affaire des disparues de la gare, malgré plusieurs éléments troublants.
"Tatiana", l'étrange polar du condamné. Lors de leurs perquisitions, les enquêteurs avaient notamment découvert sur l'ordinateur de Delpech une ébauche de roman policier étrangement intitulé "Tatiana" et relatant l'enlèvement d'une jeune femme, près de la gare. L'homme collectionnait également les coupures de presse sur l'affaire. "Marc Delpech est soupçonné grandement d'avoir tué Tatiana Andujar. Il y a ce polar et ses déclarations à l'époque. Il y a des éléments qui, pour l'instant, n'ont pas permis de le mettre en cause", rappelle Me Etienne Nicolau. "Il n'a jamais été mis hors de cause. A l'époque, les enquêteurs avaient vérifié ses emplois du temps qui étaient compatibles avec la disparition de Tatiana, comme d'ailleurs avec tous les meurtres", ajoute l'avocat, estimant "que l'on pourrait avoir deux assassins en série dans ce dossier".
Et cet épilogue partiel n'entame pas l'espoir de Me Nicolau qui confesse ressentir aujourd'hui une certaine satisfaction. "Cela fait 20 ans que la question de la résolution de l'affaire des disparues de Perpignan m'est posée. Cela fait 20 ans que je réponds que l'on y arrivera. On y est arrivé pour deux sur trois. On a mené un combat qui aujourd'hui porte ses fruits. Cela a permis d'aboutir, au moins, à la mise hors d'état de nuire d'un individu dont la dangerosité est aujourd'hui manifeste". Jacques Rançon, déjà poursuivi pour l'assassinat de Mokhtaria Chaïb, a été mis en examen mercredi pour celui de Marie-Hélène Gonzalez.