En réponse aux attentats du 11-Septembre, les Etats-Unis et l’Otan interviennent dès le 8 octobre 2001 en Afghanistan, accusé d’être la base d'Al-Qaïda. Dix ans plus tard, où en est ce pays ?
Europe1.fr vous propose le décryptage de trois spécialistes : Karim Pakzad, chercheur spécialiste de l’Afghanistan à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), Etienne de Durand, spécialiste des questions de défense à l’Institu français des relations internationales (Ifri) et Frédéric Roussel, cofondateur de l’association humanitaire Acted (Agence d’aide à la coopération technique et au développement).
Un bilan militaire très mitigé
"On est dans l’impasse totale", diagnostique d’emblée Karim Pakzad, "on ne peut pas gagner cette guerre militairement, même Obama l’a reconnu. Les effectifs de l’Otan sont passés de 7.000 à 140.000 soldats et pourtant les talibans ne cessent de se renforcer".
"Dire qu’il n’y a pas de solution militaire est faux : la meilleure preuve est que les talibans continuent la guerre et espèrent la gagner", nuance Etienne de Durand, avant de rappeler "qu’on ne peut pas dissocier le politique du militaire. Les négociations incluent toujours un rapport de force, espérer mettre tout le monde d’accord par le seul dialogue est une illusion, surtout dans cette région".
Pas de solution politique sans pouvoir légitime
"La solution à la crise afghane ne peut être que politique", estime pour sa part Karim Pakzad. "Mais là aussi on est dans l’impasse : pour négocier avec les talibans et les puissances régionales, il faut surtout un pouvoir politique fort et légitime. Or le pouvoir d’Ahmed Karzaï ne l’est pas. L’assassinat de l'ex-président Rabbani, chargé des négociations, n’arrange rien", ajoute-t-il.
"Qu’on reste ou qu’on parte, il faut laisser sur place un gouvernement afghan qui fonctionne, maîtrise son armée, sa justice et son territoire afin qu’il puisse au moins être jugé comme un interlocuteur incontournable par les talibans", acquiesce Etienne de Durand.
Une nette mais fragile embellie économique
"La situation est très ambivalente", tient pourtant à souligner Frédéric Roussel, "il y a eu une vraie explosion économique. Des autoroutes, des écoles, des infrastructures de télécommunication ont été construits, ce qui n’avait pas été fait depuis 20 ans", détaille ce spécialiste.
"A l’aune de la plupart des indicateurs de développement, l’Afghanistan était en 2001 parmi les derniers, au même niveau que la Somalie. Tout cela est derrière nous, mais il y a encore deux économies : la formelle, soutenue par la communauté internationale, et l’informelle, principalement la drogue", poursuit-il.
Et Frédéric Roussel de conclure : "il ne faudrait pas qu’on laisse l’Afghanistan à la merci de cette économie criminelle. Il faut que se développe l’économie formelle pour qu’il y ait une alternative crédible qui prenne progressivement le dessus, comme ce fut le cas en Thaïlande. Or l’Afghanistan est viable à moyen terme, notamment grâce à ses immenses ressources minières".
Une frustration sociale croissante
"L’équivalent d’une dizaine de plan Marshall a été investi dans les infrastructures. Mais l’aide internationale s’est concentrée sur les grandes villes, laissant de côté 80% de la population dans les zones rurales, sans parler de la corruption", estime Frédéric Roussel.
"De plus en plus, la population s’impatiente alors qu’elle n’est pas majoritairement pro-taliban", renchérit Karim Pakzad, avant de poursuivre : "outre la corruption, le plus important est de ramener la paix. L’Afghanistan est toujours en pleine guerre civile entre les talibans et leurs opposants".
"L’Afghanistan reste un malade en convalescence, ce serait dramatique que la communauté internationale se retire, on l’a laissé pendant les années 90 : on a vu ce que cela a donné", conclut Frédéric Roussel.