L'INFO. C'est l'histoire du lobby pharmaceutique qui gagne sa bataille contre l'Etat. Au milieu : Viktor Ameys, 7 ans, atteint d'une maladie rare, le syndrome d'hémolytique et urémique, raconte le journal Le Monde, daté de jeudi. Cette semaine, la santé de cet enfant a suscité la polémique chez nos voisins d'outre-Quiévrain. La raison ? Son traitement particulièrement onéreux –près de 18.000 euros par mois- va être finalement pris en charge par l'Etat après un bras de fer avec la firme pharmaceutique.
Viktor a besoin du Soliris. Il y a trois mois lorsqu'il se rend à la clinique pour une simple grippe, les médecins lui diagnostiquent cette maladie rare. Celle-ci, qui entraîne des problèmes sanguins et une grave insuffisance rénale, nécessite un traitement conséquent : des injections intraveineuses de plasma, une greffe (rein et foie) mais également du Soliris, un anticorps mis au point par la firme américaine Alexion Pharmaceuticals. Mais son coup est très élevé : de 400.000 à 500.000 euros par patient et par an.
Aux prémices de l'affaire, la commission de remboursement belge refuse de prendre en charge cette dépense. Dans une Belgique, touchée par la crise et soumise à des restrictions de budget, la Sécurité sociale craint des dérapages budgétaires si des patients trop "coûteux" venaient à réclamer des remboursements du même ordre. Du coup, la "Sécu" demande à Alexion de baisser ses tarifs.
Une fin de non-recevoir. Réponse sans équivoque de la firme pharmaceutique américaine : pas question de proposer un rabais sur ce médicament. Alexion, qui a dégagé près de 194 millions d'euros de bénéfices en 2012, rejette la faute sur la ministre de la Santé, Laurette Onkelinx. Selon cette entreprise, la ministre retarde une décision alors que la vie de "patients" est mise en jeu. Un chantage bien orchestré.
Une manipulation. Quelques jours plus tard, plusieurs médias belges dont De Standaard, révèlent qu'en réalité, la famille du petit Viktor aurait été manipulée par la firme pharmaceutique pour faire plier le gouvernement. En réalité, le père de Viktor aurait reçu un mail qui l'aurait invité à s'adresser aux médias. Il a été envoyé par une association de parents dans le même cas. Il informe les parents que le gouvernement ne remboursera plus ce médicament. "Il nous ont donné les contacts pour médiatiser notre cas", raconte le père de Viktor à la télévison RTL TVI. On ne pouvait pas faire autrement", déplore-t-il.
Sauf que cette association aurait-elle-même été informée par un bureau de communication "G+Europe" qui était… payé par Alexion, la firme américaine. Le but de la manœuvre était de contraindre, médiatiquement, le gouvernement de rembourser ce médicament. Ce que ne dément pas un responsable de "G+ Europe" qui déclarait : "en définitive, les parents et l'entreprise pharmaceutique ont le même but : que la ministre signe un accord avec Alexion". Des pratiques connues par Laurette Onkelinx, la ministre de la Santé, a appris le Nieuwsblad auprès de son cabinet. En revanche, le père lui n'était pas au courant de ce stratagème –choisir des figures "médiagéniques"- et se déclare "dégoûté".
Le professeur Michel Roland, qui enseigne la médecine générale à l’Université libre de Bruxelles (ULB), n'est lui pas surpris. "Ne soyons pas hypocrites en découvrant que les actionnaires d’une firme privée, qui a pris seule les risques du développement d’un nouveau médicament, réclament aujourd’hui un maximum de rendement pour leur investissement. Ce ne sont pas des mécènes", témoigne-t-il dans Le Soir.
Un accord trouvé. La ministre, sous la pression a fini par trouver, mardi dernier, un accord avec le groupe pharmaceutique pour le remboursement du Soliris. "L’ensemble des patients atteints d’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) et du syndrome hémolytique et urémique atypique (HUS) pourront bénéficier d’un remboursement de leur traitement au Soliris", précise le communiqué. Les modalités de ce "deal" entre l'Etat et la firme n'ont évidemment pas été rendues publiques.
"Nous sommes très heureux", a réagi le père du petit Viktor. Les parents espèrent désormais que l'attention médiatique autour de leur fils va retomber. "Après des semaines d'incertitude, nous pouvons enfin reprendre le cours de notre vie."
Sauf que l'Etat est sorti perdant de ce bras de fer. "En laissant la quasi-totalité de la recherche médicale au secteur privé, les gouvernements se sont mis en situation de devoir accepter de payer le prix demandé ou de paraître refuser un soin", déplore Michel Roland, professeur de médecine générale à l'Université libre de Bruxelles. Une vingtaine d'autres enfants belges souffriraient du même mal que Viktor.