L’INFO. L’assaut a duré quatre heures. Dimanche dernier, des centaines de talibans ont attaqué un poste de l’armée afghane dans la province de Kunar, à l’est du pays, tuant 21 soldats. Le 17 janvier, c’est un restaurant de Kaboul, prisé des expatriés, qui était pris pour cible. Un kamikaze et deux autres hommes armés avaient fait une vingtaine de morts. Deux attaques meurtrières en un mois, qui fragilisent encore un peu plus un pays en proie au doute, à l’aube d’une année cruciale. Au cœur des incertitudes, un accord entre Kaboul et Washington pour permettre une présence américaine en Afghanistan après le retrait des troupes, prévu fin 2014. Europe1.fr vous explique pourquoi c’est si important.
Que prévoit cet accord ? Tout avait pourtant bien commencé : en novembre 2013, la Loya Jirga, la grande assemblée traditionnelle afghane, a validé un accord bilatéral entre Kaboul et Washington. L’objectif : permettre aux troupes américaines de rester en Afghanistan après le retrait officiel des États-Unis, prévu pour la fin 2014. Ainsi, le texte prévoit qu’après cette date, entre 10 et 15.000 soldats américains restent dans le pays, explique à Europe1.fr Karim Pakzad, chercheur à l’Iris. De l’avis des experts, cette présence est cruciale pour le maintien de la sécurité dans le pays.
Pourquoi ça coince ? Mais voilà qu’à l’automne, Hamid Karzaï, le président afghan, s’est mis à traîner des pieds, posant soudain des conditions qui n’existaient pas auparavant : interdiction pour les Américains de mener des opérations nocturnes, d’entrer dans les maisons des Afghans et même obligation pour les Américains de négocier avec… les talibans. Du coup, le fameux accord n’a toujours pas été signé. Comme l’explique Karim Pakzad, "c’est une humiliation que Karzaï fait subir à Obama". Piqué au vif, ce dernier a d’ailleurs prévenu mardi qu’il préparait désormais "l’option zéro" : un retrait total des troupes américaines. Tout en laissant ouverte la possibilité de signer l’accord "plus tard cette année".
A quoi joue Hamid Karzaï ? Un coup d’œil au calendrier permet de le comprendre. Le 5 avril prochain, les Afghans élisent leur nouveau président. Hamid Karzaï ne peut pas se présenter car il a déjà effectué deux mandats. Mais en faisant de l’accord bilatéral un enjeu de l’élection, il entend bien "influencer par tous les moyens" ce scrutin et "favoriser l’élection de l’un de ses protégés", explique Karim Pakzad.
L’Afghanistan a-t-elle vraiment besoin des États-Unis ? Le problème, c’est qu’en attendant, l’Afghanistan est comme paralysé. Plus Hamid Karzaï rechigne à signer, et plus le pays s’enfonce dans une incertitude qui le plombe à tous les niveaux. Le Congrès américain a déjà décidé de diviser par deux son aide au développement pour l’Afghanistan en 2014. Or, sans aide financière, le pays aura bien du mal à survivre : en 2013, les Américains et leurs alliés ont dépensé 6,7 milliards de dollars pour le seul entretien de l’armée afghane. Une somme à comparer avec le budget total de l’État afghan pour la même année, 7 milliards de dollars, note Karim Pakzad.
Et si les États-Unis finissent par opter pour l’"option zéro", un sombre scénario se profile : celui d’un basculement dans la violence, comme en Irak. Depuis le retrait des troupes américaines d’Irak, les attentats sont quasi-quotidiens. A l’époque, "quand les Américains ont quitté l’Irak, il y avait des résidus d’Al-Qaïda par-ci, par-là", explique Karim Pakzad, soulignant qu’en Afghanistan, la situation est différente : "on est en face d’une insurrection puissante des talibans, qui ont des liens avec Al-Qaïda". Autrement dit, l’Afghanistan redeviendrait alors "beaucoup plus facilement" un sanctuaire pour les talibans.
Quelles conséquences pour l’économie ? L’économie pâtit déjà des atermoiements de Hamid Karzaï. "On assiste au rapatriement des capitaux dans des banques du golfe persique", note Karim Pakzad. Et la fermeture des bases américaines, grandes pourvoyeuses d’emplois bien payés pour les Afghans, se fera sentir directement : quelque 500.000 personnes dépendaient de la présence étrangère pour vivre, selon le spécialiste. Les Américains avaient aussi lancé de nombreux projets de construction, dont un grand nombre sont actuellement gelés.
Qu’est-ce que ça change pour la population ? D’après un rapport de l’Institut américain pour la paix (USIP), dans l’est du pays, les familles avaient pris l’habitude d’envoyer au moins un de leurs fils dans l’armée afghane, "ne serait-ce que pour bénéficier d’un revenu stable". Mais les enrôlements semblent déjà affectés, car ces familles commencent à "repenser leur stratégie de subsistance".
Pire, d’après l’USIP, le report de la signature de l’accord conduit certaines familles à se tourner vers la culture du pavot, jamais éradiquée dans le pays. D’après un Afghan interrogé par l’institut américain, "tout le monde garde des graines de pavots chez lui comme assurance, il suffit de les planter". Début janvier, un rapport américain s’alarmait même contre le risque de voir apparaître un "État narco-criminel". En 2001, seuls 8.000 hectares de terres étaient utilisés pour la culture du pavot. Actuellement, on en dénombre environ 290.000.
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